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n’avait pas ajouté : « Parce qu’il me refuse toujours, mais en revanche je dîne assez souvent chez lui. » Elle balbutia, battit la campagne, et se composa une de ces petites mines savantes qu’elle tenait en réserve pour les cas difficiles.

Mars avait de l’esprit, elle aimait les arts avec passion, elle parlait en perfection du sien : on la célébra sur tous les tons[1] ; tout d’elle eut le privilège d’intéresser. Que ne dit-on pas de son attitude ou plutôt de ses attitudes politiques ? Impérialiste ardente, elle avait imaginé de paraître en scène couverte de violettes des pieds à la tête ; elle aurait lancé ce calembour injurieux en parlant des gardes du corps de Louis XVIII : « Les gardes du corps n’ont rien de commun avec Mars. » Fureur de la jeunesse royaliste, qui se donne rendez-vous au parterre, l’accueille avec des huées, des murmures : A genoux ! à genoux ! Elle fait tête à l’orage, et, profitant d’un instant d’accalmie, jette cette réponse d’une voix douce et ferme : « Messieurs, je ne me mettrai point à genoux : si vous n’avez pas la bonté de me laisser jouer mon rôle, je vais quitter le théâtre pour toujours. » Changement à vue : les spectateurs paisibles tremblent de la perdre, les applaudissemens étouffent les clameurs, et la pièce s’achève sans encombre. Les opinions politiques d’une jolie femme sont presque toujours le reflet d’une rancune ou d’une amitié personnelle ; elles ont leurs caprices, leurs révolutions, et peu importent ici logique, principes, raison. Mars apprit sans doute que Napoléon l’avait un jour traitée de « vieille fille qui fait assez bien la jeune » : les diamans, les cadeaux de Louis XVIII achevèrent la conversion, et comme on la complimentait sur la beauté des pendans d’oreilles que le Roi venait de lui envoyer : « — Ce n’est pas l’autre, dit-elle, qui me les aurait donnés. » Mais Mlle Patrat observa courageusement : « Je ne sais, mais il vous a donné assez souvent ce qu’il fallait pour en avoir de plus beaux. »

Son âge, voilà le tourment, le cauchemar, la plaie secrète et sans cesse saignante. Penchée sur son miroir, contemplant avec angoisse ce visage qu’elle aussi regrettera l’an prochain, elle comprend bien qu’elle vieillit ; mais elle ne veut, elle ne sait vieillir. Et quelle joie pour les petites camarades qui peuvent ainsi lui rendre la monnaie de sa pièce, se venger de ses exclusions, de ses épigrammes ; pour Bourgoin, qui l’appelle toujours la Vieille ! Comme elles se rendront à la cour d’assises pour suivre le procès du vol des diamans de Mars, où elle devra dire son âge ! et

  1. Mars à la Comédie, Elleviou à l’Opéra-Comique, furent un temps les arbitres suprêmes de la mode. On affirma que, pour ses chapeaux. Mars avait un traité secret avec sa modiste, qui s’engageait à n’en confectionner de pareils que huit à dix jours après qu’elle les avait portés.