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vis-à-vis de Napoléon. Et je la vois fort affairée de sa beauté, de ses amours, de sa célébrité, de son salon, mais moins souvent d’être bonne. Qu’elle ait élevé une nièce de sa sœur, secouru en cachette d’anciens artistes tombés dans la misère, rien de mieux ; mais ne semble-t-il pas qu’elle sacrifiât le principal à l’accessoire, elle qui ne vit point son fils aîné, ne s’occupa de lui que dans son testament : un fils compromettant, un calendrier vivant, qui lui rappelait ce qu’elle aurait tant voulu effacer et faire oublier ? Samson lui présente la jeune Plessy, âgée de quinze ans, qui doit jouer avec elle Une passion secrète de Scribe, et elle paraît s’intéresser à la débutante. Arrive la première représentation : la toile tombe, et l’on entend les cris de : Mars ! Plessy ! les premiers poussés par la claque, les autres partant de l’orchestre et du balcon. Et la petite, prenant la main de son tuteur dramatique : « On me demande, monsieur Samson ! Vous n’entendez donc pas ? on me demande ! » Samson, un peu inquiet et flairant le péril, envoie chercher la comédienne dans sa loge, elle descend, lui présente la main de fort mauvaise grâce, et sans souffler mot, sans remercier, se laisse conduire sur la scène, puis se retire du même air. Le lendemain, elle fit une scène effroyable au directeur, l’accusant de conspirer contre elle en faveur de Plessy, et, à plusieurs reprises, elle évita de rendre le salut de Samson.

Non-seulement les camarades de la Comédie, mais les femmes du monde et les amis avaient à pâtir de son caractère impérieux, des inégalités de son humeur : quelques dames de la meilleure compagnie lui formaient une petite cour, séduites par son excellent ton et l’agrément de sa conversation ; soudain éclataient une crise, des exigences, des caprices intolérables : de guerre lasse les dames se retiraient. Après quelques jours de bouderie, Mars, n’y pouvant plus tenir, montait en voiture, et allant trouver chaque intime, se faisait câline, suppliante, fascinatrice, la ramenait au cercle commun. Et cela durait jusqu’à un nouvel éclat, suivi d’une nouvelle réconciliation. Son caractère ne lui obéissait pas aussi bien que sa séduction, et, d’avoir beaucoup d’esprit, cela n’empêche nullement de dire ou commettre des maladresses, cela aide seulement à les réparer. Mêmes alternatives de brouille et de tendresse avec les amis du sexe fort, car un dieu malin a mis en elle le don de contrefaire, de se moquer, de médire drôlement, et sa verve s’exerce contre ceux-là mêmes qu’elle aime le mieux. Mais avec quelques-uns, comme Arnault, Romieu, Etienne Béquet, le comte de Mornay, elle trouve à qui parler. Un jour par exemple elle s’avise d’affirmer au baron Taylor que Charles Maurice, directeur du Courrier des Théâtres, ne dînait jamais chez elle. Le propos ayant circulé, Charles Maurice lui demanda pourquoi elle