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partisan du nouvel Évangile était un Celte déclaré, un Gallois ou un Highlander, un Irlandais, ou au moins avait une origine celtique. Soyez mes témoins, ô vous des collèges de Christ Church, de Magdalen, de Brasenore ! » — Voilà au milieu de quels combattans Arthur rentre en maître dans les ateliers. Après Rossetti qui a fait Lancelot dans la chambre de Guinevère, Lancelot et Guinevère à la tombe d’Arthur, le Saint-Graal, Lancelot et la Dame de Shalott, c’est Burne-Jones lui-même qui peint Merlin et Viviane, la Queste du Graal, Sir Galahad, le Sommeil d’Arthur ; c’est William Morris, Arthur Hughes, Val Prinsep, Spencer Stanhope, presque tous les néo-préraphaélites qui, d’accord avec les poètes Swinburne, Tennyson, ressuscitent la légende. On peut se faire une idée du renouveau de la légende arthurienne là-bas par celui de la légende napoléonienne ici. On a tout prouvé contre l’un et contre l’autre héros : ils renaissent tous les deux à la gloire, et de l’empereur des Français comme du roi des Bretons, on peut dire que, si le peuple ne le croit plus vivant, il regrette parfois, dans les sombres jours, que les druides se soient trompés en disant que « les héros peuvent naître deux fois. » Mais dans sa destinée esthétique, le roi Arthur est plus heureux que l’Empereur. Il est assez loin dans l’histoire pour qu’on ne puisse pas prétendre nous le faire plus vrai en le faisant moins beau. Lorsque Napoléon et ses dix-huit maréchaux se seront enfoncés dans l’ombre fabuleuse où est l’ami de Merlin, il se trouvera peut-être alors un Tennyson qui le montrera attendant tout armé dans l’île d’Avalon, ou dans l’île de Sainte-Hélène, et l’on aura beau faire des exhumations comme Henri II Plantagenet ou comme Louis-Philippe, la figure encore vivante apparaîtra sous les traits idéalisés d’un demi-dieu. Lorsque les temps seront assez reculés pour qu’on puisse grandir les types, changer les costumes et revêtir les preux qui luttèrent à la Moscowa comme ceux qui succombèrent à Camblann, il pourra venir un Burne-Jones et un William Morris, qui, l’un dessinant, l’autre tissant, enchanteront les regards au XXXe siècle par des tapisseries où l’on verra flotter les figures de Ney, de Murat, de Joséphine ou du prince Eugène. Alors l’histoire aura servi à quelque chose, parce qu’elle aura élevé les yeux et la pensée des hommes vers des êtres plus beaux qu’eux, au lieu de les tenir baissés sur des mesquineries ou des laideurs. Et la physionomie de l’Empereur, si longtemps « ballottée entre Marins et César », sera enfin fixée, non pas comme est fixée, par exemple, celle de M. Thiers, mais comme est fixée celle de la Joconde, parce qu’elle aura atteint non pas la vérité, cette beauté de l’histoire qui change toujours, mais la beauté, cette vérité de l’art, qui ne change jamais…