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dimanche, il donne audience à ce peuple libre d’artistes dans le palais de Lululund qu’il s’est construit. Ce château représente le travail de toute une famille ; son père a fait les boiseries, son oncle, qui est en Amérique, les tentures, et lui-même le plan et la décoration peinte. Lululund est bâti solidement en style roman, avec des murs énormes, qui seront encore là dans dix siècles si l’on n’y touche pas. Professeur à Oxford, M. Herkomer a exposé en chaire les principes qu’il a ainsi appliqués de ses mains, sur la pierre, la toile ou le bois. Pour amuser toute sa colonie d’artistes, il a bâti un théâtre où il a prodigué les ressources de son multiple génie. D’abord, l’illusion pittoresque est poussée aussi loin que possible : ainsi le sol, au lieu d’être fait de planches plates et nues comme à l’Opéra, est sculpté en forme de pavés. Il n’y a pas de lumière de rampe éclairant le dessous des figures. La lune de Bushey, surtout, a une réputation méritée : une boîte ronde garnie de trois lampes électriques, d’une lentille réfléchissante et d’un papier transparent sur lequel sont peintes les montagnes lunaires, monte lentement, grâce à un ingénieux mécanisme, dans un firmament de gaze. Sur ce théâtre, on joue des drames en musique où figurent M. et Mme Herkomer au milieu des élèves du grand artiste. Ces drames s’appellent : la Sorcière, la Revanche du Temps, Filippo, qui n’est autre chose que le Luthier de Crémone, de Coppée. Le goût de l’art dramatique est de famille chez les Herkomer : la mère de l’artiste était bonne musicienne ; son père, le menuisier, a joué le rôle de Ponce-Pilate dans la Passion représentée en 1849 à Waal, avec plus de naïveté encore qu’à Oberammergau, et lui-même, il compte bien remplir celui de Judas, si l’on donne encore ce spectacle dans sa ville natale. Ainsi c’est lui qui compose les pièces, écrit la musique, brosse les décors, endosse le travesti et monte sur la scène. Devant cet ensemble d’aptitudes et cette exubérance de gestes esthétiques, on croit voir revivre la figure étrange de Salvator Rosa. On croit voir aussi un de ces maîtres du moyen âge, tantôt maçon, tantôt sculpteur, ne dédaignant aucune besogne, ne repoussant aucun outil. Ce fils d’un ouvrier artiste tient à rester un artiste ouvrier. Et tout ce mouvement d’union des arts et des métiers, Arts and Crafts, qui, nous le verrons plus loin, est la gloire de l’Angleterre moderne, M. Herkomer en est la plus vivante et la plus originale expression.


VII. — LA LÉGENDE. — SIR EDWARD BURNE-JONES

Sir Edward Burne-Jones est dans son atelier. Il a traversé pour y venir un long jardin moitié prairie, moitié verger, vert comme la pelouse de Mériaugis et touffu comme la forêt de