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obtient par des dessous travaillés et séchés, puis repeints plus largement, manquent, d’ordinaire, chez M. Herkomer, de même que la transparence passagère due à la fluidité des couleurs. La raison en est que M. Herkomer a longtemps considéré qu’un tableau à l’huile devait ressembler le plus possible à une fresque ; qu’aucune substruction de couleurs ne devait précéder le ton définitif, et qu’en fait de couleurs, les plus sèches étaient les meilleures. Ceci l’a conduit à peindre son fameux tableau la Dernière Revue sur une toile blanche et avec des substances tellement sèches qu’il a fallu ensuite y revenir, couvrir le tableau d’enduits parasites, par devant et par derrière, afin d’empêcher un décollage complet. Il est bien curieux d’observer que ce Bavarois, venu longtemps après la révolution pré-raphaélite et formé sous un maître qui n’y avait pris aucune part, se retrouve imbu de la théorie anglaise sur la couleur, à ce point qu’on croirait entendre parler Hunt, Watts ou Rossetti.

Mais ce n’est point par là seulement que M. Herkomer se sépare de l’école continentale et se rattache à l’Angleterre : c’est surtout par l’expression intense, l’intimité profonde et la particularité individualiste qu’il donne à ses figures. Dans les deux ou trois tableaux de genre qui ont fait sa vogue, il a poussé ces qualités à un point qu’elles atteignent rarement chez nous. On exposait cette année, au Guildhall, sa Dernière Revue, qui est de 1874. D’autre part, on peut voir dans une salle de Kensington son tableau de la Chapelle de la Charterhouse. — Dans le premier, on voit les invalides de Chelsea, assis en ligne sur les bancs de leur chapelle, dans leurs habits rouges, assistant à l’office : c’est leur dernière revue. — Dans l’autre, ce sont les pensionnaires d’une maison de retraite, occupée par de vieux gentlemen ruinés, réunis aussi pour un office religieux. — Au point de vue psychologique, c’est au fond le même sujet : là, comme ici, ce sont des vieillards, les survivans d’une lutte pénible, qui ont trouvé enfin l’abri, le repos, le pain assuré, et qui songent au passé, si brillant parfois, sachant bien qu’il n’y a plus rien pour eux à regarder dans l’avenir qu’une route sûre et monotone qui conduit au terme où nous arrivons tous. C’est toujours la pensée du Harbour of Refuge peint par le maître de M. Herkomer, Frederick Walker, et qu’on peut voir à la Galerie nationale, dans la salle des Turner, où elle a été offerte par M. Th. Agnew. Le Port de Refuge, c’est un asile de vieillards : un jardin empourpré par les dernières splendeurs du couchant, un perron vermoulu où chemine une vieille qui retient sa vie encore quelque temps, soutenue par une jeune fille ; là-bas, d’autres pauvres hospitalisés, puis les bâtimens couverts de lierre, bien vieux