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nullement du vieux portrait anglais, tel que Reynolds et Gainsborough l’ont compris, tel qu’on a pu le voir cet été à la galerie Sedlmeyer, tel enfin que M. Jacques Blanche essaie chez nous de le ressusciter. Il ne s’étale point parmi un déploiement de riches accessoires ; il ne s’enlève pas sur des rameaux qui verdoient, ou une bataille qui rougeoie. C’est sur un fond nu que M. Herkomer place son personnage ; fond idéal, comme on n’en a jamais vu nulle part, pas plus qu’on n’a vu ceux de MM. Bonnat ou Carolus Duran. Quelquefois ce fond est un mur, mur blanchâtre, où la tête projette une ombre. Aucune fantaisie coûteuse, aucun bibelot inutile, aucune couleur chatoyante qui attaque celle de la figure. Aussi la figure se détache-t-elle, saute-t-elle aux yeux du premier coup et s’impose-t-elle à l’attention. Toutefois, elle n’apparaît pas seule. M. Herkomer ne se désintéresse pas du reste de son personnage jusqu’à confier à un tailleur le soin d’en dessiner le vêtement, ou à un valet d’atelier la mission de nettoyer ses pinceaux au bas de la toile, avec l’espoir que cela fera une robe pour les yeux complaisans qui le regarderont de loin. Dans un portrait de M. Herkomer, tout joue son rôle : les bras, bien développés, pèsent sur le dossier ou se tendent vers le genou ; les mains se lient l’une à l’autre comme dans Miss Grant, ou retombent avec lassitude comme dans Entrée en mélancolie. Le buste ordinairement un peu renversé, la poitrine bien cambrée, la taille flexible, les épaules fortement attachées, le cou à sa place, les draperies descendant dans le cadre, sont cherchés avec le même soin que la tête. Dans les deux portraits que nous venons de citer, qu’on a pu voir à l’Exposition de 1889 et qu’on a l’habitude d’intituler la Dame en noir, la Dame en blanc, la pose est à la fois naturelle et savante. Il y a en elle la force et le laisser aller de la vie, la solidité d’une charpente déterminée et la mollesse d’une détente des muscles au repos, la dignité de ce qui demeure et le charme de ce qui passe : ce sont des mouvemens qui font honneur au corps humain.

La couleur de M. Herkomer vaut son ordonnance : elle est d’une modération relative. Ce n’est plus là ce sombre éclat que le peintre a d’abord imité de son maître Frederick Walker ; c’est encore moins l’intransigeance et le pointillisme de Watts, et ce n’est pas du tout le lustrage pénible de Millais : c’est une couleur quasi française, presque fine et harmonieuse, par touches assez larges et simples, également répandue surtout l’ensemble, sans heurt, sans cri, sans accès. Aucun effet n’est cherché dans une opposition facile. Dans la Dame en blanc, d’un blanc un peu sale, la robe s’enlève en blanc sur blanc, par la seule différence d’un ton rigoureusement observé. Les figures n’ont pas un extrême relief. Les effets qu’on