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la finesse. — D’ailleurs, à mesure que dans l’œuvre de M. Millais on se rapproche du portrait, on découvre le meilleur de son tempérament et de sa palette. Sa composition, si banale lorsqu’elle s’étend à des sujets d’histoire ou de genre, devient intéressante, et presque originale lorsqu’elle se restreint à un portrait. Les Œufs frais, qui ne sont que le portrait de sa charmante fille, en costume Pompadour, venant chercher des œufs dans le poulailler, nous offrent une ordonnance excellente. Mieux encore, dans le portrait des filles de M. Armstrong, réunies à une table de whist sous un immense bouquet d’azalées, il y a une science d’arrangement qu’il faut admirer sans réserves. Tout dans ce tableau, jusqu’au titre un peu précieux : Les cœurs sont l’atout ! ajoute au charme de ces trois figures, vues l’une de face, les autres de profil et de trois quarts. Son portrait du garde de la Tour de Londres est presque un chef-d’œuvre. Son modelé est pénible, mais il est. Ses harmonies sont criardes, mais elles s’arrêtent au point où elles ne seraient plus. M. Millais a une théorie à lui, pour excuser ses couleurs trop éclatantes : il dit que tels étaient les tons des tableaux de maîtres que nous admirons aujourd’hui, on les voyant atténués par ces deux autres grands maîtres qu’on nomme le Temps et le Vernis. Sans examiner pour l’instant cette hypothèse, on peut pardonner au peintre du Garde de la Tour ses violences lorsqu’elles se fondent en harmonie.

Des trois manières de M. Millais, — la manière pré-raphaélite appliquée à des scènes d’histoire, la manière romantique appliquée au genre, enfin le portrait, — c’est donc ce dernier qui l’a le plus heureusement inspiré. Mais ce ne sont pas ses portraits, ce sont ses scènes de genre qui ont fait sa vogue. Et c’est pourquoi, quand on évoque l’ensemble de son œuvre et qu’on veut le définir, sir John Everett Millais apparaît un librettiste de la peinture. Comme les librettistes d’opéra, il ne crée par ses sujets : il les choisit déjà très connus et un peu ressassés. Comme eux, il les exprime dans une langue intelligible et retentissante ; comme eux aussi, il ne déploie pas de telles facultés d’invention qu’on puisse dire qu’il les renouvelle, ni une telle maîtrise de formes qu’on puisse dire qu’il les enrichit ; comme eux enfin, il recueille les applaudissemens des loges et des parterres, sans qu’on sache bien au juste à qui ils s’adressent, au sujet ou à l’auteur, à l’histoire ou à l’historien, au livret ou à la musique.


VI. — LE PORTRAIT. — M. HERKOMER

M. Herkomer est le grand portraitiste du Royaume-Uni. Il a peint aussi des scènes de mœurs, des paysages de la Bavière, mais