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de la perspective d’une mobilité d’un autre genre que celle de l’Angleterre, quoique non moins certaine.

Le tsar tout-puissant était toujours libre, sous la poussée d’une passion quelconque, de se rejeter tout à coup hors de l’alliance. On en avait vu un exemple mémorable au cours de la guerre de Sept Ans : Frédéric, pressé à la fois par la France, l’Autriche et la Russie, allait périr, lorsque la tsarine Elisabeth mourut. Son successeur, Pierre III, changea aussitôt de camp, et Frédéric fut sauvé. Mais ce Pierre était un Allemand et un grossier misérable. Il est à supposer que les tsars modernes, sérieux et inspirés des intérêts permanens de leur peuple, ne se permettraient pas les soubresauts que les exigences d’une opinion publique de plus en plus en éveil leur rendraient d’ailleurs plus difficiles. Enfin, quoi qu’on fasse, dans tous les partis il reste toujours une chance contraire. La chance contraire d’une alliance russe est la mobilité de l’empereur, comme celle de l’alliance anglaise est la mobilité du Parlement. On ne se résoudrait jamais à rien si on n’adoptait que les partis absolument sûrs : la fortune garde une part qu’il est inutile de lui disputer.

Aussi, malgré cette dernière objection, l’éventualité d’une alliance entre la Russie et la France paraissait tellement dans la force des choses, que les hommes d’Etat d’Autriche et d’Angleterre, auxquels elle portait ombrage, n’ont cessé de la prévoir. Metternich était convaincu que les « tendances de la France ne permettaient que dans une mesure restreinte une action commune et libre avec l’Autriche. Une action de ce genre est bien plus facile entre la France et la Russie, et cela par la simple raison qu’il n’y a pas de contact direct entre les deux empires. Ces vérités s’imposeront toujours sous tous les gouvernemens de la France, quels qu’ils soient et quelques noms qu’ils portent. » Les Anglais, " depuis le projet débattu entre Paul Ier et Napoléon d’attaquer par l’Asie l’Empire britannique indien, ont constamment redouté « que la France et la Russie ne s’unissent dans quelque grand projet d’ambition réciproque[1]. »


VII. — RÉSUMÉ. — PARTI QU’ADOPTE LOUIS XVIII

En résumé, après 1815, nous n’avions rien à demander à la Confédération germanique, à l’Italie, à l’Espagne, rien à espérer de l’Autriche, tout à craindre de la Prusse. Nous n’avions qu’à opter entre deux alliances, celle de l’Angleterre et celle de la

  1. Palmerston à Clarendon, 29 septembre 1857.