héréditaire et à leur tumultueuse anarchie l’omnipotence prévoyante du tsarisme. La conséquence fut infaillible. Là, comme partout, la nation divisée en elle-même fut dévorée par celle qui était unie. La décomposition intérieure de la Pologne en vint à ce degré qu’elle « ne pouvait en sortir qu’à l’aide du pouvoir absolu, et, comme elle n’avait point chez elle les élémens de ce pouvoir, il fallait qu’il lui vînt du dehors tout formé, c’est-à-dire qu’elle tombât sous la conquête[1]. » Au dernier moment la Russie eût bien voulu garder toute la proie, Frédéric l’obligea à la partager. L’opération, commencée en 1772, fut continuée en 1793 et terminée après la défaite de Kosciusko en 1795. Ce démembrement exaspéra à peu près cent cinquante mille nobles ; il améliora sensiblement la condition de leurs sujets. Le paysan, soumis à la domination des Russes, des Prussiens et des Autrichiens, se trouva plus heureux qu’il ne l’avait été sous l’oppression de ses seigneurs polonais.
Impuissante à sortir par elle-même ou par un secours étranger du néant où l’avaient jetée son incapacité gouvernementale et son incorrigible dérèglement, la Pologne devait renoncer à l’espérance de redevenir une nation indépendante. La rendre à l’indépendance c’eût été la rendre à l’anarchie. Elle n’avait plus qu’à choisir entre l’association volontaire aux destinées russes ou l’engloutissement dans le gouffre allemand. Mieux valait certainement le premier parti. Alexandre ne négligea aucun moyen de le rendre facile et honorable : par le traité de Vienne, il consentit à reconnaître Cracovie ville libre ; il se réserva de donner au grand-duché de Varsovie, jouissant d’une organisation distincte, l’extension qu’il jugerait convenable. Il avait largement rempli sa promesse : tout en maintenant le principe ; de l’union avec la Russie, il s’efforça d’assurer aux Polonais la jouissance paisible de leur nationalité ; il leur accorda autant qu’ils avaient obtenu de Napoléon ; il se déclara roi de Pologne, et ajouta ce titre à celui d’empereur. Un vice-roi administrerait en son nom, avec l’assistance de ministres responsables, d’une presse libre, d’un Sénat nommé à vie et d’une Chambre de députés se réunissant tous les deux ans pendant trente jours. L’année polonaise serait commandée par son frère Constantin. C’était une espèce d’autonomie qui, avec de la sagesse et de la prudence, aurait pu s’affermir et même se développer jusqu’à une indépendance presque complète sous la suzeraineté purement personnelle du tsar. Notre amitié avec la Russie, loin de compromettre le véritable
- ↑ Instructions de Louis XVIII à ses plénipotentiaires au Congrès de Vienne.