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Cette disposition permanente venait d’être aggravée par les terribles malentendus de la longue guerre. Au lendemain de sa victoire, le ministère anglais, bien éloigné de songer à nous apaiser et à conquérir notre amitié, s’était donné la mission de devenir le geôlier de notre captivité territoriale, d’ameuter l’Europe à notre moindre mouvement. Pour mieux nous tenir garrottés, faisant de l’Autriche l’alliée dont elle a besoin sur le continent, elle avait identifié partout, surtout en Italie, ses intérêts avec ceux de la maison de Habsbourg. Bathurst recommandait au Piémont une union étroite avec l’Autriche. Castlereagh répondait aux députés lombards implorant sa protection : « S’il s’agissait de vous soustraire à un joug de fer tel qu’était celui de la France, je vous accorderais mon appui, mais vous n’avez rien de pareil à redouter du gouvernement paternel de l’Autriche. N’attendez donc rien de moi contre sa volonté ; ce que je puis vous offrir c’est de travailler au bon accord avec elle[1]. » En conséquence, il devint de maxime indiscutable à Londres et à Vienne que les intérêts de l’Angleterre et ceux de l’Autriche seraient désormais considérés comme solidaires, que leur accord était la préservation de la paix générale de l’Europe, la garantie de notre mutilation et des arrangemens territoriaux de Vienne, l’affermissement de l’Empire ottoman et du statu quo en Orient.

Plus tard il a existé une Angleterre libérale, celle de Canning et de Palmerston, avec laquelle nous avons pu souvent nous concerter, en Belgique, en Grimée, en Chine, en Italie. Il en est une autre en voie d’éclosion, celle de Cobden et de Bright, avec laquelle s’opéreront peut-être un jour des rapprochemens imprévus. De l’Angleterre de Wellington et de Castlereagh il était chimérique d’attendre quoi que ce fût pour notre relèvement national.


V. — L’Autriche

L’Autriche avait refusé de remplir contre nous on Belgique la mission que la Prusse avait acceptée sur le Rhin. Une contiguïté possible de territoire ne s’opposait donc pas à une alliance. Des difficultés d’une autre nature, également insurmontables, ne la permettaient pas.

La première est qu’il n’existe pas de peuple autrichien. L’Empire n’est qu’une agglomération de neuf nations diverses[2]. Ces

  1. Nicomède Bianchi, Storia documentata, t. I, p. 22.
  2. Allemands, 10170000 ; Magyars, 6542000 ; Roumains, 2623000 ; Italiens, 755000 ; Celto-Slovaques, 7140000 : Polonais, 3255000 ; Croato-Serbes, 2948000 ; Russes, 3158000 ; Slovènes, 1228000.