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ait jamais faite contre aucun pays[1], » non par vengeance d’un grief personnel ou d’une offense, mais uniquement parce que, à son exemple, nous avions changé la forme de notre gouvernement et adopté des principes de liberté imités des siens. Lansdowne, Bedford, Lauderdale, Sheridan, Grey, Fox surtout, s’opposèrent en vain à cette iniquité. Tous nos orateurs, en acceptant la rupture à laquelle on les contraignait, en constatèrent le caractère défensif[2]. « Il faut, je le dis hautement, avait dit Burke, je le dis avec le désir qu’on pèse mes paroles, il faut que la guerre soit longue[3]. » Elle l’a été plus qu’il ne l’avait souhaité.

Après cette malheureuse expérience de la Révolution, au lendemain de Waterloo, était-il sensé de recommencer la tentative d’une alliance ? Existait-il quelque chance de s’entendre avec les ministres qui tenaient enseveli vivant le héros de nos gloires dans une fosse de granit perdue au milieu des brumes de l’Océan ? A tout autre qu’aux Bourbons cela eût été impossible. Mais le gouvernement qui avait envoyé à Sainte-Hélène le plus niais et le plus hostile des commissaires, Montchenu, ne devait pas être arrêté par des considérations sentimentales. Or, à ne consulter que nos intérêts, tels que le traité de Vienne les avait constitués, il n’y avait aucun obstacle insurmontable au rapprochement de la France et de l’Angleterre.

Dès que nous avions accepté de laisser entre les mains des Anglais Gibraltar, Malte, les îles Ioniennes, nos intérêts dans la Méditerranée devenaient identiques : détruire la piraterie des puissances barbaresques, assurer aux chrétiens de la Turquie le sort le moins mauvais. L’Egypte elle-même n’était pas de nature à nous diviser, pourvu que, renonçant les uns et les autres à dominer un pays capable de se gouverner lui-même, nous nous missions d’accord pour seconder la constitution sur le Nil d’une nationalité indépendante, neutre, sous la garantie de l’Europe. Ailleurs, à la condition du respect de la liberté des mers et de l’extension progressive de la facilité des échanges, des aspirations communes nous rapprochaient partout et ne nous divisaient nulle part. Ce que chacune des deux puissances gagnait dans le lointain Orient, en Afrique, en Océanie, constituait un accroissement du patrimoine général de la civilisation, non une

  1. Buckle, Histoire de la civilisation en Angleterre, t. II, ch. VII.
  2. « Les hostilités, dit le manifeste de Condorcet (20 avril 1792) ne sont que des actes de légitime défense. » — « Déclarer la guerre à l’Angleterre, disait Brissot (12 janvier 1793), c’est déclarer une guerre qu’elle a déjà commencée, et vous ne violez pas le principe que vous avez consacré et que tout peuple libre doit consacrer : de renoncer aux agressions et à la guerre offensive. »
  3. Letters on a Regicide Peace.