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II. — LES RACES LATINES : L’ITALIE, L’ESPAGNE

Dans une telle situation, supposez la France douée du tempérament d’égoïsme, de calcul, et de cupidité d’une Prusse, elle se fût résignée à la défaite des autres et n’eût songé qu’à se relever de la sienne ; elle eût laissé les Allemands joués, les Italiens et les Slaves opprimés, se débattre avec leurs rois despotiques, et elle n’eût pensé qu’à étendre, puis à fermer ses frontières ouvertes ; elle n’eût pas prêté l’oreille à la plainte des malheureux de l’Europe, elle n’eût été attentive qu’aux intérêts prochains de son ambition ; elle n’eût regardé au dehors de son territoire que pour chercher des alliés disposés à aider une entreprise de revanche : elle les eût trouvés.

Elle ne se serait pas arrêtée un instant à la chimère de l’union nécessaire des races latines. Ceux qui parlent des idiomes dérivés du latin ne sont pas des Latins. La langue n’est pas l’indice certain de la race. Ainsi « les Anglais qu’on appelle Anglo-Saxons à cause de leur idiome, sont un mélange très varié, où le primitif fond breton est bien fort, et plus fort encore un élément dont on ne parle pas, les immenses émigrations de la Flandre industrielle de 1200 à 1500, les émigrations hollandaises des XVIIe et XVIIIe siècles[1] ». De même les Français en très grande majorité sont des Celtes avec peu d’élémens romains ; jusque dans la portion la plus méridionale, au-dessous de la surface romaine, persiste le fond autochtone modifié par la culture phénicienne et ionienne. L’Espagnol est un Ibère, un Maure, un Vandale, un Carthaginois autant qu’un Latin. L’alliance ne s’impose pas aux Italiens, aux Espagnols, aux Français, en vertu de la race : entre eux comme entre tous les autres peuples, elle ne saurait naître que des convenances politiques et de la communauté des desseins.

Quelle convenance nous eût alors rapprochés de l’Italie ? quel dessein pouvions-nous poursuivre en commun ? Réduite à la vie des molles voluptés, simple province autrichienne, riche en policiers et en gendarmes, pauvre en soldats, que pouvait-elle nous donner, si ce n’est, avec les enchantemens mélodieux de son Cimarosa ou de son Rossini, les jours faciles et sourians de ses villes, les mélancolies augustes de ses ruines, triomphantes, dans ses champs et sur ses collines de la féroce activité de renouvellement de la nature. Ceux qui se souvenaient des destinées antiques ou qui en rêvaient de nouvelles cherchaient qui viendrait les délivrer ; ils attendaient de l’aide et n’en pouvaient offrir à personne.

  1. Michelet, la France devant l’Europe, 1870. ch. XI.