personne du pays, allée pour examiner cette peinture, n’a pas pu s’y reconnaître. Il passe de là à me raconter une fois de plus ces tragiques épisodes de la bataille, et, mieux que sur aucune toile, je les suis, développés et fixés dans son esprit exact avec toutes leurs sombres couleurs. Hors du village, le long combat traîné d’heure en heure, douteux jusqu’au soir, perdu cependant d’avance, car un grand cercle prussien, qui passait par Orgères, la Maladerie, Germignionville, enveloppait les nôtres ; ils se débattaient là-dedans, nos mobiles, tantôt héroïques, tantôt hésitans ; on peut dire que chacun d’eux, pris isolément, était brave ; ces grandes différences qu’on voyait entre les régimens ne provenaient que des officiers. Car, que demander à une troupe, quand son capitaine s’en va, s’écarte du feu, entre dans une maison, et se fait servir une fricassée de poulet ? La compagnie de mobiles qui défendait la ferme de Morale avait pourtant un commandant de cette espèce…
Dans Loigny, rien ne révélait d’abord les vicissitudes de la lutte extérieure ; les chances du conflit ne parvenaient pas à ceux-là mêmes qui étaient l’enjeu. On se fusillait simplement dans les rues, si pleines de fumée par ce jour sans vent que la tuerie ne progressait qu’à tâtons ; on avançait, la baïonnette en arrêt, et, si c’était l’ennemi, on lui lançait le coup de pointe, ou on lui lâchait le coup de feu. Le curé traversait cette mêlée en étendant les mains, pour montrer qu’il n’avait pas d’armes ; il chargeait les blessés sur son des et les portait au presbytère. Vers deux heures, il avait perdu tout espoir, n’apercevant partout que des casques. Il fallait que de la troupe française se trouvât alors cernée dans le cimetière, car tout un rang prussien, s’accoudant au mur de clôture, tirait à l’intérieur. Et des convois atteignaient le village, des batteries le dépassaient ; le sonneur, monté dans le clocher, voyait des masses épaisses déborder d’Orgères, et menacer Vilpion : bien sûr, le cercle dessiné dès le matin autour de nous allait se resserrant. Frédéric-Charles pensait à envelopper l’armée de la Loire comme Guillaume avait enveloppé l’armée de Metz. Tout d’un coup, le désarroi s’était mis chez ces vainqueurs ; des estafettes couraient vers l’arrière pour y suspendre les mouvemens ; les convois refluaient ; l’artillerie, arrêtée en plein roulement, devait s’établir à nouveau et défendre par le canon un terrain qui semblait gagné. C’étaient nos zouaves qui arrivaient, ils arrivaient au pas de course ; et la troupe inquiète les sentait venir ; car les blessés prussiens, couchés pêle-mêle avec les Français sur ces lits de hasard où la mort nous confond, se relevaient et voulaient fuir : « Capout, franzosen, capout… » disaient-ils, et ils pleuraient affaiblis, épouvantés ; ils se traînaient derrière ceux