virginale bannière bleue et blanche sur laquelle il ne faut qu’un peu de sang pour faire un drapeau tricolore…
Un haut clocher d’ardoise flanqué aux quatre angles par des clochetons, un bourg allongé qui écoute en silence les dix coups de la dixième heure ; deux moulins à vont immobiles, dont la carcasse ancienne craque au soleil ; une haie bien égale qui accompagne au loin le sillon de la voie ferrée : c’est Patay. J’arrive devant le passage à niveau, et vois les poteaux du télégraphe tout engerbés de drapeaux tricolores ; des cordeaux les rattachent au sol, comme des grelins tendus entre le mât et le pont d’un bateau ; ils portent une multitude de petits étendards alternés de rouge et de vert et qui ondulent ensemble avec je ne sais quel sens d’allégresse et de bienvenue. Ce sont ces signaux mêmes que les garde-barrières arborent pour annoncer : « Voie barrée » ou « Voie ouverte. » Mais, détournés ici de leur sens : « Ciel libre, » disent-ils à l’envi en flottant sur champ d’azur.
Je franchis les quatre rails ; un homme d’équipe qui marchait par mon travers, pose sa brouette et me salue. Puis, un employé, qui porte un galon de sergent sur sa veste de coutil, s’avance à ma rencontre, s’arrête, attend, fidèle à ce principe de la politesse militaire qui veut qu’on s’offre et qu’on demande des ordres.
Il m’apprend que sur cette ligne d’Orléans à Chartres tout le service est assuré par le 5e régiment du génie, appelé aussi régiment des chemins de fer. Le lieutenant Maurat, mon camarade, commande cette gare. Quant à cette décoration : on attend l’arrivée du ministre des travaux publics, qui se trouve être justement le député d’ici.
Le temps d’écouter ceci, de reprendre mon chemin jusqu’au perron et à la porte vitrée, la nouvelle de ma présence s’est déjà répandue le long de la voie. Voici Maurat lui-même, au seuil de son domaine, le sourire aux lèvres, la plume derrière l’oreille.
— Tu déjeunes avec moi ?… Tu vois, je t’attendais, j’avais pavoisé… Cinq minutes seulement, pour laisser passer le 220.
Le 220 est un long train de marchandises ; il se traîne le long du quai et stoppe à bout de forces. On ouvre la manche à eau sur le tender, tandis que le mécanicien et le chauffeur descendent, circulent, s’arrêtent à fumer. Ils remontent enfin la bête endormie, la réveillent en posant la main sur le levier de la coulisse : elle se remet à ramper sur ses roues de fer et sur son ventre de feu. Pourtant, Maurat n’en a pas encore fini, étant pris là dans un service complexe, bien moins déterminé qu’une fonction militaire, et qui assujettit indéfiniment son homme. Il lance dans la direction d’Orléans plusieurs dépêches. Tandis qu’en télégraphiste expert, il s’amuse à expédier lui-même ses ordres et joue