Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

branche de haie. Voilà tout. Pourtant, debout sous cette cloche qui ne me laisse rien voir, fidèle à ma maxime d’optimisme et d’expectative, je m’en vais simplement écouter et transcrire les bruits qui résonnent dans mon écoutoir.

C’est d’abord une rumeur confuse, le bruissement d’un essaim qui ne fait que de se poser, qui travaille à sa ruche et qui ne sait trop où est sa reine. Partout, on tape ; car chacun plante son morceau de bois sur ce point de sol qui lui appartient, et il suffit d’un maillet pour consommer ces installations que nous fondons sur le sable et pour peu de jours. Le pas d’un cheval ébranle mes abords, puis s’éteint ; et, quelqu’un attachant cette bête à quelque chose, je reçois sur mon écran ensoleillé l’ombre d’une longue tête oreillarde. Puis, les grattemens de pied, les soupirs et les hennissemens de l’animal isolé qui s’inquiète. « A la porte, le cheval ! » crie je ne sais qui, oubliant qu’ici nous n’avons pas de porte. Et des bouts de conversations m’arrivent : — Pas de chance : ma tente est trouée — Tiens ! tu as un canapé ! — Il faut pourtant que je me rase, confesse une vieille barbe. — Et quelqu’un de très altéré s’amuse à donner cet ordre algébrique :

— Apportez-nous p + q bouteilles de bière.

— Combien, mon lieutenant ?

— Autant qu’il en faut. Vous voyez : Nous sommes k + 1… Le médecin-major interpelle Baujan, occupé à faire creuser son terrain et qui veut s’établir en sous-sol.

— Je l’avais défendu à ma conférence… Vous allez faire dégager de l’acide carbonique.

Il s’éloigne de deux pas, s’arrête, et reprend sur un ton d’insistance :

— Et non seulement des gaz, mais des microbes…

Mon ordonnance rentre, apportant ma selle. Je vois bien, à sa figure échauffée et à ses yeux inquiets, qu’il se perd un peu dans tous ses soucis quant à moi, quant à lui-même, ou quant à mon cheval : mais je le laisse barboter dans tout cela pour qu’il apprenne à s’en tirer et qu’il gagne de l’initiative. Tout me viendra à point, car je sais attendre : Me voici successivement enrichi d’un pliant sur lequel je peux m’asseoir pour écrire, suivant cette vieille habitude apprise aux amphithéâtres de l’Ecole polytechnique ; puis d’un seau de toile rempli d’eau, qui, fidèle aux lois de l’hydrostatique, se tient bravement droit comme un seau de fer-blanc. Il eût été à souhaiter que l’équilibre de mon habitation fût aussi satisfaisant ; mais ces jeunes soldats ne savent pas établir une tente. Ils croient bien faire en la tendant jusqu’à la limite du possible, et voici ce qui arrive ensuite : la nuit, le