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AU POLYGONE


Camp de Cercottes, lundi.

Je n’ai fait qu’un tour à travers ce camp, qui me paraît un assez triste camp, car la place y manque, les tentes se touchent par la base, la fumée des cuisines vole dans la figure des chevaux. On s’agite sur ces étroits espaces, cent constructions sont entreprises à la fois ; et tout est à un tel point d’activité et de confusion, qu’il vaut mieux que je m’en ville et laisse l’officier de jour démêler le chaos. Il me bénira de mon absence, car plusieurs autorités concourant à une même besogne ne peuvent que se choquer et se nuire ; trop de zèle expose ordinairement à défaire ce qu’un autre croyait avoir achevé.

Voici donc le quartier des officiers : le boulevard des capitaines, la rue des lieutenans, l’impasse des officiers de réserve, tout cela comprimé par l’esplanade du colonel. Comme nous allons être les uns sur les autres ! Et tous au soleil… Pour ceci, passe encore, car jamais couche-dehors ne s’est plaint de la chaleur, mais ce sont tous ces trébuchets de ficelle et de petits piquets, toutes ces défenses accessoires qu’il nous faudra surmonter quand nous reviendrons tard d’Orléans et que nous chercherons à tâtons nos domiciles, les yeux incertains, les jambes alourdies par le bercement du break. On nous a établis là suivant l’ordre d’ancienneté. Un, deux, trois, quatre… c’est ici. Mon nom peut se lire sur la toile, accompagné du mot « cuisine », tracé au charbon d’une écriture plus ancienne. J’entre, hume l’odeur du chanvre, fais : oui ! à l’air étouffant qui séjourne sous ma cloche à melon. J’en étais sûr d’avance ; elle est percée.

Depuis tant d’années que je m’installe dans des camps