ne prend pas sur ses livres le titre de platonicien, s’est trouvé être l’observateur le plus sagace et le moraliste le plus profond. Quel tableau il nous a fait du luxe extravagant des affranchis, et comme il a vengé les grands seigneurs de la sotte fatuité des parvenus ! Quelle image amusante de cette course aux héritages qui est, à Rome, le métier de tant de personnes ! Et quand il descend plus bas encore, dans ces étages inférieurs qu’il n’avait fait qu’entrevoir, comme il les a vite saisis et dépeints ! Quelle vérité dans la façon dont il fait parler ces petits ouvriers et ces importans de village ! comme il reproduit leur langage et leurs idées ! Il est sûr qu’il n’y a rien d’aussi vivant et d’aussi profond dans Apulée. Son observation reste toujours à la surface, et quelque amusante que soit son œuvre dans son ensemble, il ne s’en détache pas des personnages qui deviennent des types, comme Trimalcion.
Mais ce qui diffère le plus chez eux, c’est leur façon d’écrire. Il n’y a pas de style qui soit à la fois plus agréable et plus aisé que celui de Pétrone. Chez lui, rien de guindé, de gourmé, d’affecté ; point d’emphase ni de rhétorique ; l’esprit y coule de source ; même les grâces un peu maniérées de ses entretiens d’amour y ont un air naturel, tant elles reproduisent exactement le langage de la société de l’empire. Cicéron dit de certaines personnes de son temps, hommes et femmes, qu’elles parlaient bien presque sans le vouloir, en tout cas sans le chercher, uniquement parce qu’elles avaient toujours entendu bien parler ; il en est de même de Pétrone : c’est un bon écrivain de naissance et d’habitude. Apulée, au contraire, est un provincial, presque un étranger ; le latin n’est pas la première langue dont il se soit servi, il lui a fallu l’apprendre, il ne la parle pas de nature, et l’on s’en aperçoit bien. Il y a chez lui, pour exprimer sa pensée, un effort et un travail, souvent heureux, toujours visibles, qui contrastent avec l’aimable facilité de Pétrone. Tandis que l’un parle le latin de tout le monde, en le parlant mieux que personne, on trouve à tout moment chez l’autre des expressions et des tours qui nous déroutent et ne paraissent pas appartenir à la langue commune.
Voilà ce qui jette dans une grande surprise ceux qui sont habitués à la lecture des écrivains ordinaires et donne un air étrange à l’ensemble de l’œuvre d’Apulée. Il semble qu’on y démêle, à côté de ce qui est véritablement romain, des élémens d’une origine exotique, et l’on se demande d’abord d’où ils ont pu lui venir. C’est ce qu’il n’est pas aisé de dire, et ce qu’il serait pourtant important de connaître. On va voir que cette question a été résolue de diverses façons.