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délicate, il se garda de toucher : c’était le désagrément personnel qu’on semblait avoir pris plaisir à lui infliger en le laissant arriver dans tout l’éclat de son rang et de sa qualité d’ambassadeur, quand un mot dit d’avance aurait suffi pour l’arrêter. Une seule fois, dans sa correspondance, il fait allusion à ce dégoût qu’il avait dû pourtant ressentir. Il fait remarquer qu’en calculant les dates il a dû reconnaître que la négociation n’est devenue active que le jour où on a su son départ effectif. « C’est un point, disait-il, que je dois faire connaître, mais sur lequel il ne me convient pas d’insister, » et c’est une des raisons qu’évidemment il se donne à lui-même pour ne paraître, disait-il, ni humilié, ni piqué.

Il s’était, du reste, si fort échauffé dans son plaidoyer, et son interlocuteur y opposait de si pauvres raisons, qu’il crut un instant avoir produit quelque effet. Il espéra qu’il pouvait arrêter la main qui n’avait peut-être pas encore donné la signature. Je ne crois pas devoir désespérer, écrivait-il le 25 janvier, d’empêcher le roi de Prusse « de signer la convention avec l’Angleterre… Je crois avoir beaucoup ébranlé ce prince par les raisons ci-dessus, et il m’a paru que celles qui intéressent sa gloire faisaient sur lui une véritable impression. »

L’illusion ne fut pas longue. — « Le roi de Prusse, devait-il écrire trois jours après, m’a fait dire avant-hier soir qu’il avait à me parler et de me rendre chez lui le lendemain à midi. C’était pour m’apprendre que la convention avec le roi d’Angleterre était signée. En me donnant cette nouvelle, il me parut quelque embarras dans son maintien, et il me dit qu’il ne s’attendait pas que les ministres d’Angleterre le prissent au mot si promptement. Je lui répondis que je serais bien étonné qu’ils eussent laissé une telle occasion de s’en faire accroire en Europe et de se justifier aux yeux des bons patriotes anglais du traité de subsides fait par eux avec la Russie. » — Cette remarque amena quelques nouveaux et timides essais de justification sur le même thème que les précédens ; après quoi le roi témoigna le désir que le secret fût encore gardé sur un fait dont il lui donnait la première confidence. Nivernais eut la bonne grâce de le lui promettre, tout en l’avertissant que, comme à Londres on ne s’était pas cru sûrement tenu à la même réserve, la discrétion qu’on lui recommandait serait aussi inutile qu’embarrassante et presque ridicule. Effectivement, il était à peine sorti du cabinet du roi qu’il trouvait le public mis au courant de tout par la même poste anglaise qui avait apporté la nouvelle. — « Vous concevez, écrivait-il à Rouillé, que ma disposition n’est pas plus satisfaisante que ma santé, surtout depuis avant-hier que les lettres de Londres ont rendu la convention à peu près publique, non pas suivant son exacte teneur,