en dehors de ces conditions. Avons-nous besoin de dire que la France ne les a jamais acceptées ? Sans forfanterie, sans provocation, elle s’est peu à peu relevée de sa chute : elle en avait le sentiment, mais elle était seule à l’avoir, au moins en apparence, et, en toutes choses, un sentiment qui n’est pas partagé laisse de l’inquiétude à celui qui l’éprouve. C’est alors que le canon joyeux de Cronstadt a retenti tout d’un coup sur l’Europe et jusqu’au fond du dernier de nos hameaux, la France en a éprouvé un tressaillement d’allégresse. Il faut bien le dire, l’événement l’a surprise, elle ne s’y attendait pas. Ce qui est venu depuis, Toulon, Paris, n’a été que la suite et comme le prolongement des fêtes de Cronstadt. La première idée en appartient à l’empereur Alexandre. C’est lui qui nous a donné, après une attente si longue et parfois si amère, le sentiment infiniment doux à une grande nation d’être appréciée pour ce qu’elle vaut, moralement et matériellement. Comment ne lui en aurions-nous pas su gré ? A partir de ce jour, l’empereur de Russie a été associé dans nos cœurs à ce que nous avions de plus cher. L’imagination populaire ne s’est pas arrêtée un instant à la pensée que les manifestations de Cronstadt, de Toulon, de Paris, se rattachaient à un système politique habilement calculé : elle a vu dans le tsar un ami, et elle s’est prise à l’aimer.
Si Alexandre III, par cette démarche courageuse et hardie, a voulu augmenter en Europe les chances de la paix, il ne s’est pas trompé dans ses prévisions : il suffit, pour s’en convaincre, de lire en ce moment les journaux du monde entier. Tous lui rendent hommage et le représentent comme le génie pacifique de l’Europe. Ces jours derniers, dans un discours dont nous aurons à parler plus loin, lord Rosebery lui décernait plus particulièrement cet éloge ; il allait jusqu’à assurer que sa mort enlèverait à l’Europe la meilleure garantie de la conservation de paix. On nous permettra de le dire, l’épreuve qu’a faite le tsar n’a pas témoigné seulement de ses propres dispositions, mais aussi de celles de la France. Si nous avions été le peuple agité, turbulent, incapable de goûter le repos et de laisser les autres en jouir, enfin l’élément de perturbation que l’on représentait toujours comme sur le point de jeter à travers le monde la révolution et la guerre, l’empereur de Russie aurait eu grand tort de se rapprocher de nous, car ce rapprochement n’aurait pas manqué d’enfler nos prétentions et de précipiter notre impatience. A-t-on vu, de notre pari, rien de pareil ? Notre attitude générale a-t-elle changé depuis que nous ne sommes plus aussi isolés ? Le-péril qu’on avait dénoncé comme venant de nous a-t-il paru plus menaçant ? C’est une question que nous posons à l’équité de l’Europe. Le tsar n’a pas eu à regretter les avances qu’il nous a faites et l’accord qui en est résulté. Nous n’avons jamais été un embarras ni pour lui ni pour personne, et une même expérience a manifesté son esprit pacifique et le nôtre. Si le malheur veut qu’il succombe à sa terrible maladie, l’em-