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M. Paul Mounet fait vibrer comme dans tous ses rôles de drame sa basse monocorde. Mme Pierson est une fermière qui reste très femme du monde. M. Laugier travaille consciencieusement à être gai.

Si par hasard nous prenions Pension de Famille pour une pièce de théâtre, M. Maurice Donnay serait en droit de nous accuser de mauvaise foi, et de dire que nous l’avons fait exprès. Le spirituel écrivain a pris toutes ses précautions afin que nous ne nous y trompions pas. Dans une pièce de théâtre il faut, — je ne dirai pas une intrigue, afin de ne pas m’attirer de désagrémens, — mais une certaine suite. Le décousu des scènes n’est pas seulement la marque de ces quatre actes : l’auteur a voulu que c’en fût le charme. C’est de lui qu’on peut dire que « ses nonchalances sont ses plus grands artifices. » Il faut un lien entre les personnages : il ne saurait y en avoir entre les hôtes passagers d’une station balnéaire. Le professeur de martingale, la vieille joueuse, les petites « rastas », le lord anglais, la grande dame russe, le chérubin de collège, le mari trompé, la femme coupable, l’amie entremetteuse, l’un ou l’autre de ces types pourrait être supprimé ; nous ne nous en apercevrions même pas. Dans Pension de Famille tous les acteurs sont des comparses ; tous les rôles sont inutiles ; cela est très curieux. Les personnages d’une comédie doivent avoir une apparence d’êtres vivans. Ceux-ci semblent nous dire : « Vous savez, n’est-ce pas, que nous n’existons pas. » Un tableau de mœurs suppose quelque observation de la société. Mais il y a, pour une certaine littérature mondaine et pimpante, une convention qui dispense de regarder ou qui empêche de voir. C’est cette convention qui défraie les romans de Gyp, les dialogues de Manchecourt…et aussi les fantaisies de Lysis. C’est elle que Lysis-Donnay a une fois de plus mise en œuvre, dans Pension de Famille. Il l’a fait de la façon la plus agréable. Que d’esprit ! de cet esprit facile et léger qui ne laisse pas de traces après lui. Que de mots ! de ces mots dont on n’a pas idée en province et qui déconcertent la rive gauche. Quelle espièglerie et quelle gaminerie ! quelle jolie perversité pour rire ! quelle ironie résolument superficielle I C’est le dernier cri de la blague. Ne pas goûter Pension de Famille, c’est avouer qu’on n’a pas le goût parisien. Il faut qu’on le sache dans les départemens.

Pension de Famille est très joliment encadrée et jouée avec ensemble. Mlle Legault y est particulièrement remarquable.


RENE DOUMIC.