s’exprimer en patois n’en est pas moins pédantesque. Il est paradoxal et prudhommesque, fécond en aphorismes et en truismes ; et chaque fois qu’un oracle tombe de sa bouche infaillible, les comparses saluent. Toute la sagesse humaine tient dans sa dure caboche. Cette sagesse ne doit rien à l’éducation : Bibus affirme qu’il n’a lu aucun livre, attendu qu’il ne sait pas lire. Mais nous ne l’en croyons pas. Il a lu les philosophes du dernier siècle, ou peut-être les modernes théoriciens de la vieille gaîté française. Il a ramassé dans les journaux les argumens par lesquels on a coutume de réfuter victorieusement le pessimisme. Même il est plaisant de voir comme il se travaille à traduire en jargon des campagnes ces argumens citadins. Le vieux drôle fait beaucoup d’affaires pour nous livrer un secret fort éventé. Être homme, cela pour lui consiste principalement à se sentir excité aux approches du printemps. Le prince reste calme quand le bois reverdit et que le bocage n’est plus sans mystère : le grand air et une nourriture fortifiante sont des remèdes tout indiqués ; un vin généreux serait également très efficace. Bibus célèbre avec enthousiasme les bienfaits de la dive bouteille. Et, j’y pense, Bibus vient de bibere, qui signifie boire.
Cette morale, on le voit, n’a rien de trop quintessencié. C’est celle que sous des formes plus ou moins déguisées beaucoup de gens aujourd’hui nous recommandent. Peut-être à ce point de vue faut-il se réjouir qu’en l’exposant avec une candeur si dépouillée de tout artifice, M. Richepin ait contribué à montrer ce qu’elle a de vulgaire et de dangereux. Conseiller aux hommes de revenir à la simplicité du premier âge et de reprendre par un effort de volonté un cœur d’enfant, cela semble d’abord une utopie séduisante. Il est fâcheux qu’une des lois de cette nature même qu’on invoque rende impossible le retour en arrière. Tout développement antérieur est un développement acquis ; rien du passé ne s’anéantit. Ce qui est vrai des individus l’est aussi des sociétés : on ne revient pas à l’enfance, on y retombe. On sait de reste ce que c’est pour des civilisés que de vivre conformément à la nature : cela consiste à faire la bête. Ce n’est ni très difficile ni très rare. Mais pourquoi décorer des noms de bonté, d’innocence et de vertu ce qui n’est que la brutalité ?…On dira que voilà de grands mots et que nous discutons gravement la fantaisie. M. Richepin nous y invite lui-même, et aussi bien il serait difficile de ne pas traiter l’auteur des Blasphèmes en penseur.
M. Richepin est en outre un homme de théâtre ; et puisque Vers la joie ! est une comédie, c’est du point de vue de la scène qu’il faut la juger. Au théâtre, la valeur d’une œuvre ne se mesure pas à la profondeur de la pensée, et nous ne serions pas embarrassés pour en citer parmi les plus fameuses qui sont dénuées de tout contenu