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Un raisonnement de cette nature, aussi incohérent que superficiel, ne rendait pas à Nivernais la réplique difficile. Peu importait, en effet, de savoir si la France avait ou n’avait pas l’intention de porter plus tôt ou plus tard une attaque contre l’électorat de Hanovre. Le seul fait que l’incertitude sur ses desseins, et par suite la menace, subsistaient, obligeait l’Angleterre à réserver pour cette possession si chère à son souverain une part de ses forces et de son argent. La Prusse, en la délivrant de cette crainte, lui permettait de tout consacrer, hommes et écus, soit à la défense de son propre territoire, soit au développement de cette lutte maritime où elle jouissait déjà d’une supériorité si redoutable. Nul acte direct d’hostilité n’eût été plus avantageux pour elle, et n’eût porté à la France un coup plus sensible. L’envoi d’un corps d’armée sur le champ de bataille ou d’une escadre en mer eût été un auxiliaire moins efficace pour les desseins de l’Angleterre. De la part d’un ami, d’un allié, devait-on s’y attendre, et n’avait-on pas le droit de s’en plaindre et même d’en être offensé ? De plus, dans l’Allemagne, ainsi préservée de tout dommage, l’Angleterre pouvait puiser comme dans un réservoir des légions de mercenaires achetées à prix d’or de ces petits princes qui, d’après la vive expression de Frédéric lui-même, étaient toujours prêts à tendre leurs mains pour recevoir ses gainées. Admettant même que cette tranquillité de l’Allemagne fût nécessaire à la sécurité de la Prusse, on aurait pu en faire l’objet d’une transaction directe et secrète avec la France, qui lui aurait permis au moins de prendre toutes les précautions pour sa propre sûreté, au lieu d’en traiter derrière elle et à son insu avec son ennemie. C’était surtout ce mystère gardé jusqu’à la dernière heure, cette apparence de piège tendu dans l’ombre et en silence, puis cette apparition subite d’un ami et d’un ennemi réconciliés, et marchant de concert, la main dans la main, c’était là ce qui rendait le procédé aussi déloyal que blessant. Car il y a en politique (et il y avait déjà dès lors, quoique l’opinion publique fût moins en éveil et fût répétée par moins d’échos que de nos jours) des impressions morales dont la portée dépasse tous les effets matériels.

Entre tous ces griefs également fondés, Nivernais n’avait que le choix, et il les fit tous valoir avec un mélange assez heureux de mesure et de force. Il n’y a qu’un point que, par une réserve