Desdemona ! » Quelques mesures à peine ; une note, une seule, mais redoublée avec tant de précipitation et de furie ; sur la dernière syllabe un si foudroyant éclat d’orchestre, que dans la musique de théâtre je ne sais rien de plus bref ni de plus beau.
Pas plus que la voix, l’orchestre d’Othello n’est traité à l’allemande. Il concourt au drame musical, il ne lui commande pas. Toujours intéressant, toujours expressif par les sonorités, par la psychologie des timbres, il l’est moins souvent par l’élaboration et la combinaison des motifs, par ce qui constitue à proprement parler la symphonie. Mais là ne fut jamais le centre de gravité ou de beauté de la musique italienne ; la nature et la tradition défendront et délieront toujours de l’y transporter.
Enfin si le Verdi d’Othello a brisé les formules factices et passagères, il respecte, que dis-je ? il restaure la forme authentique, éternelle, où le génie de son pays est fait pour se définir et se concentrer. Si mobile et diverse que soit la musique d’Othello, si docile à la passion, à la parole, elle demeure avant tout formelle. Elle n’a rien de commun avec l’art en quelque sorte invertébré qui menace aujourd’hui de devenir le nôtre. Elle est un organisme complexe, mais déterminé. Prenez les pages en apparence les plus libres ; elles sont harmonieuses et constituées, une loi les régit : loi de proportions, d’ordonnance, d’eurythmie, loi nécessaire et fondamentale, à laquelle se soumet de lui-même l’esprit de nos voisins, et le nôtre, dès qu’il agit selon sa nature, dans son indépendance et sa pureté. La chanson du Saule, par exemple, a beau flotter au gré des pressentimens et des souvenirs, il serait aisé d’y surprendre la symétrie de strophes véritables ; de montrer comment chaque modulation, chaque note suspendue aspire à l’unité tonale et la rétablit. Et qu’est-ce autre chose que le monologue d’Othello au troisième acte, sinon un chef-d’œuvre d’opposition et d’équilibre, en deux parties qui se font pendant et contre poids ? Dans la première, tout est atterré ; comme dit Bossuet, tout est abruti ; dans l’autre, tout se ranime et se relève. L’une est presque le néant ; l’autre est le paroxysme de la vie et de la douleur. Le contraste est admirable. On peut ajouter : il est classique, tant il est franc, tant il est logique et tant il est fort.
Oui, classique, et classique italien, tel est bien, sous la nouveauté de la forme, le fond de Falstaff et d’Othello. Le Verdi de d’un et de l’autre est de son temps, mais il reste de son pays. Par-dessus les maîtres qui ont compromis l’art national, il tend la main à ceux qui l’ont créé. Son œuvre est de restauration plus que de révolution. C’est aux arbres du fleuve natal que le glorieux vieillard a suspendu sa harpe, et les arbres ont miraculeusement refleuri. Il a fait en musique ce que font dans les sciences, dans la philosophie, dans tous les ordres de