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REVUE MUSICALE

LA MUSIQUE ITALIENNE ET L'OTHELLO DE VERDI

Nous avons dit avec détail, il y a sept ans passés, combien l’œuvre est belle[1]. Comment elle l’est ; quel rang elle vient prendre dans l’histoire de la musique italienne et quelles traditions y reprendre ; quel mal elle y répare et par quelle vertu, nous essaierons de le montrer aujourd’hui.

Cela peut se résumer en deux mots. Au commencement du siècle l’Italie avait rompu le pacte entre l’art et la vérité ; le Verdi d’Othello l’a rétabli. Oui, pendant près de cent ans l’Italie, en musique, n’a guère fait que mentir. Oh ! je le sais, mensonges joyeux, et, comme disait Renan, de pure eutrapélie ; qu’on pardonnait, tant ils avaient de gaité, d’insouciance et d’ironie ; mensonges toujours mélodieux, souvent aimables et rarement grossiers ; mensonges brillans, bruyans, mais enfin des mensonges. Le grand coupable en cette affaire, plus coupable parce qu’il était plus grand, fut Rossini. Grétry disait de Pergolèse : « Il parut et la vérité fut connue. » Rossini n’eut qu’à paraître et elle fut oubliée. Oubliée pour l’apparence agréable et légère, pour le vain plaisir, pour les faciles délices de la sensation et presque de la volupté. Appagare l’orecchio, muovere il cure, ricreare lo spirito. De ces trois devoirs qu’un Marcello jadis imposait à la musique, Rossini trop souvent trahit les deux plus nobles. Il n’enchanta presque jamais que l’oreille. Si par hasard il écrivit le Barbier de Séville et Guillaume Tell, deux chefs-d’œuvre ceux-là, non seulement pour l’oreille, mais pour le cœur et l’esprit, c’est que le Barbier, pour être chef-d’œuvre, n’avait à l’être

  1. Voyez la Revue du 1er mars 1887.