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On trouve également une dédicace « aux Dieux Mânes de Valeria Attica, surnommée l’Amoureuse. » C’est son mari qui lui rend ce témoignage. Un second mari va plus loin : il qualifie son épouse défunte de « Lupa…, la très douce Lupa. » Deux affranchis se cotisent pour élever un tombeau à leur « amie » Valeria Cupita. Un autre épicurien, Mercasto, nous signifie du fond de la tombe qu’il a vécu soixante ans en parfaite santé, qu’il a durant tout ce temps mené joyeuse vie, et qu’il va reposer en paix. Nombreuses sont les épitaphes de mimes, de comédiens. Une dame, Julia, offre une sépulture à son citharède Nicias. Martial nous dit que les dames de Vienne aimaient à lire ses œuvres. Telle autre inscription fait penser au fameux enfant de Michelet, l’enfant d’Antibes qui « dansa et plut. » Par exemple, le tombeau spécial dédié au petit Hellas : — « Ci-gît Hellas, pantomime, mort à quatorze ans. » — Une seule voix détonne dans cette fête d’outre-tombe : le testament stoïque de quelque lecteur de Lucrèce : — « Ætherius mourant a dit : Déposez ici mon corps. Que la terre, mère des choses, recouvre elle-même ce qu’elle a donné. »

La mort est plus sérieuse, plus touchante aux Alyscamps d’Arles. Cette allée de tombeaux, ombragée de peupliers, écartée dans les prairies paisibles, était la voie Appia de la petite Rome des Gaules, Gallula Roma Arelas. Arles, la ville patricienne où Fausta venait donner un héritier à l’empire, avait alors tous les avantages d’une Venise reliée à la mer par ses lagunes. L’édit d’HIonorius la désigne comme capitale des sept provinces gauloises, parce que « l’on y peut arriver facilement de toutes les parties du monde. » La mode s’établit de se faire enterrer dans Arles, surtout chez les chrétiens, attirés par leur vénération pour saint Trophime. De très haut, en amont du Rhône, les familles pieuses et riches envoyaient leurs défunts aux Alyscamps. Les cercueils étaient confiés au courant, avec l’indication de la sépulture que l’on désirait et du prix qu’on y voulait mettre. La croyance populaire tenait que les morts s’arrêtaient d’eux-mêmes au port d’Arles. Le bon fleuve charriait les funèbres voyageurs, comme il a tout porté. Quelques-uns s’échouaient aux berges, de bonnes gens les remettaient en route. À quelles aventures posthumes, à quels naufrages d’ombres cette singulière coutume fait songer ! beaucoup durent aller se perdre à la mer. Que leur importe aujourd’hui ? Dans les sarcophages vides des Alyscamps, devenus d’excellentes auges, les bouviers de la Crau font boire leurs bœufs.

Sur l’indélébile couche romaine est venue se superposer la couche d’histoire du moyen âge. Nulle part le moyen âge n’est