que cette ville pensive et appliquée, conseillère de foi et de travail, ait révélé au Rhône sa vraie vocation. La Saône vient au-devant de lui, elle arrête et rectifie cette course sans but. Union sérieuse, féconde ; ce n’est plus une folle dangereuse, comme l’Arve, c’est une personne sage, qui instruit le fleuve de leurs intérêts communs. Elle a déjà creusé la moitié du canal qu’ils doivent achever ensemble, pour amener les richesses de la mer au cœur de la France, pour tracer en ligne directe ce « chemin du pain », comme l’appelaient nos pères, qui fut longtemps la grande artère commerciale de notre pays. A Lyon, le Rhône tourne droit au sud, au soleil, à la mer ; il suivra désormais sa route, large, franche, sans un retard ni un détour. La vie de travail commence pour le fleuve assagi ; il se couvre de grands bateaux, il prend part à l’activité industrielle des villes qu’il côtoie, il s’emploie surtout à sa tâche agricole, l’entretien des champs qu’il a créés jadis de toutes pièces dans le pays d’aval. Jetez les yeux sur une carte, vous aurez l’impression d’une existence qui a longtemps cherché sa voie, qui l’a enfin trouvée et ne s’en écarte plus.
Dès qu’un être se développe librement dans le travail approprié à sa nature, il acquiert et manifeste toute sa beauté. Ainsi du Rhône : à partir de Lyon, c’est le plus beau fleuve de France. Calme, épanoui dans sa majesté, il n’a gardé de son âme de torrent que la rapidité du cours, la sourde énergie qu’on sent dans cette masse liquide. Tantôt ralenti, pâle à l’ombre des îles, entourant de ses bras endormis les forêts de trembles et d’oseraies qui lui barrent la route, tantôt accéléré dans le chenal libre, ramassé en une seule coulée de saphir, absorbant toute la clarté des matins dans ces eaux radieuses qui semblent rouler du soleil en dissolution, sa fuite vers l’horizon méridional est un perpétuel délice pour les yeux. Ils embrassent une grande partie de son cours. Du haut des montagnes voisines, ils ne peuvent se détacher du ruban magique, déroulé à l’infini dans le sillon de lumière, toujours plus éblouissant, là-bas, à mesure qu’il avance sous des cieux toujours plus doux. Et quelle variété dans le cadre grandiose et charmant de la vallée ! Bientôt élargie, après les coteaux tempérés du Viennois et du Forez, elle se creuse entre deux murailles dignes du Rhône, les Alpes, les Cévennes. A sa gauche, au-delà des plaines luxuriantes du Dauphiné, il revoit les Mères, deæ Matronæ, comme les appelait l’antiquité ; leurs crêtes blanches, frappées de rose aux rayons du couchant, accompagnent le fleuve sans interruption : par les beaux jours, on en suit le dessin du Mont-Blanc à la Dent de Crest ; elles surveillent de loin l’enfant qu’elles ont nourri, elles lui envoient encore les