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C’est le même raisonnement que font les détracteurs du tabac quand ils cherchent à expliquer l’attrait qu’il inspire, et il n’est pas plus juste dans un cas que dans l’autre. Mérat aurait pu se dire que l’usage de cette plante de Chine ne se serait pas répandu sur le globe entier et n’y aurait pas acquis une importance aussi grande, si elle n’avait eu d’autre effet que de tromper l’ennui des désœuvrés. On lui aurait préféré l’anis, le phaham, l’aya pana dont la saveur est si délicate et le parfum si fragrant, s’il ne s’était agi que d’une affaire de goût ; mais ces vérités d’évidence sont de celles qu’on a le plus de peine à admettre et il a fallu que la chimie découvrît le principe actif de la plante méconnue et que les physiologistes en étudiassent les effets, pour qu’on voulût bien convenir que le thé est doué de propriétés précieuses et que son usage est rationnel.

L’action physiologique du thé est analogue à celle du café et cela se conçoit puisqu’ils ont le même principe actif ; toutefois le thé jouit d’une propriété astringente qu’il doit à son tannin, et le café a des effets excitans qu’il emprunte à la caféone que la torréfaction y développe. Bien que le thé renferme une plus forte dose de l’alcaloïde qui leur est commun, il agit avec moins d’énergie sur le cerveau et sur le cœur, et cela tient vraisemblablement à ce qu’on le prend à beaucoup plus faible dose : il faut 15 grammes de café torréfié pour faire une tasse de café, tandis que pour le thé la dose n’est que de 2 grammes. Aussi ne détermine-t-il pas l’anxiété épigastrique, le tremblement nerveux que le café procure, et les personnes très nerveuses sont les seules qu’il empêche de dormir.

Il est nécessaire toutefois de faire une distinction entre le thé vert et le thé noir. Le premier agit bien plus énergiquement sur le système nerveux. Il produit, chez les personnes impressionnables, une excitation très vive et une insomnie complète ; aussi le thé noir est-il préféré par presque tout le monde, et, en France, le thé vert est réservé pour les usages de la médecine.

On n’a pas recours au thé comme au café pour écarter le sommeil et faciliter le travail de l’esprit ; on ne l’emploie pas davantage pour augmenter l’énergie musculaire et supporter plus aisément la fatigue. Il est évident toutefois que ces propriétés qu’il doit à son principe actif s’exercent à leur insu chez les personnes qui en boivent, et c’est probablement là le secret de l’attrait que cette boisson inspire, de la facilité avec laquelle on en contracte l’habitude et de la peine qu’on a par la suite à s’en passer.

Le thé est une boisson familiale. Si le café est l’ami du travailleur solitaire, le thé est le compagnon du foyer. Le soir quand