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croit. De la manière d’opérer dépend la qualité de la boisson obtenue. La même qualité de thé peut donner, suivant la façon dont on s’y prend, une tisane insipide ou un breuvage exquis.

Il faut d’abord se procurer du bon thé. Nous avons indiqué les différentes variétés récoltées en Chine, celles qui sont le plus estimées en Europe sont : pour le tin ; noir, le Pékoé, qu’on désigne parfois en France sous le nom de fleur de thé. Il est parfumé, son odeur tient de celle de la rose et son infusion est d’un jaune d’or ; le Souchong vient ensuite ; pour le thé vert, c’est le Hyson qu’on préfère ; il renferme beaucoup de tannin ; son infusion est verdâtre et très parfumée ; il y en a quatre variétés qui sont toutes recommandables.

La seconde condition, c’est de se servir d’un vase exclusivement réservé à cet usage, La théière en métal anglais est le meilleur des appareils. On commence par l’échauder, en y versant un peu d’eau bouillante, puis on la laisse égoutter et on y verse la quantité de thé nécessaire. En France, on en met une cuillerée à cale, c’est-à-dire environ deux grammes par tasse ; on verse dessus une petite quantité d’eau bouillante pour bien saisir les feuilles et en opérer le déroulement. On laisse infuser pendant cinq minutes, puis on verse le reste de l’eau d’un seul coup, et l’infusion est à point au bout de dix à douze minutes.

Le thé nous fournit une preuve nouvelle de la réserve dans laquelle il faut se tenir au sujet de la valeur d’une substance dont on ne connaît pas la composition et dont l’expérience n’a pas démontré les effets. Il a été jadis l’objet des appréciations les plus bizarres et les plus hasardées. Zimmermann lui donnait le nom de mauvaise lessive chinoise[1], et Mérat, en 1821, ne pouvait pas encore s’expliquer l’engouement qu’il inspirait. « C’est, dit-il, une des singularités les plus remarquables du règne végétal : feuille inutile, impropre à la nourriture comme à satisfaire aucune jouissance réelle ; elle n’en a pas moins changé les habitudes des nations, modifié les relations des peuples et bouleversé même des empires (l’indépendance de l’Amérique vient d’un impôt que la métropole voulut mettre sur le thé). On trouve l’explication de cette bizarrerie, du moins pour notre Europe, lorsqu’on réfléchit que le thé aide l’homme à supporter son plus grand ennemi, l’ennui, et à diminuer l’énormité du plus rude de ses travaux, le temps à passer[2]. »

  1. Zimmermann, Traité de l’expérience en général et en particulier dans l’art de guérir, édition Tissot, 1818, t. II, p. 334.
  2. Mérat, article Thé du Grand Dictionnaire des Sciences médicales, t. LV, p. 41.