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à l’aide d’une usure exagérée de ses élémens organiques. Cet épuisement joint ses effets à celui du café, et il est difficile de faire la part qui revient à chacun d’eux. La première condition qu’impose l’hygiène intellectuelle, c’est de ne pas marchander avec le sommeil et de pas lutter contre lui par des moyens artificiels.

Les pauvres jeunes gens qui se sont attardés dans leurs études et qui veulent se rattraper à la veille d’un concours, espèrent y parvenir en prenant sur leur sommeil ; mais ils sont à un âge où on dormirait sur un baril de poudre. Ni les tasses de café prises coup sur coup, ni l’air frais entrant par la fenêtre ouverte, ni l’immersion du visage dans la cuvette pleine d’eau froide ne parviennent à les tenir éveillés. Ils s’endorment debout, font de mauvaise besogne et arrivent au bout de quelque temps à un épuisement complet, à un état de nervosisme navrant accompagné d’une impuissance absolue pour le travail. Le café les a aidés sans doute à en arriver là ; mais il n’est pas le seul coupable ; il n’est que le complice du surmenage intellectuel.

On a de tout temps reproché au café certaines propriétés dépressives qui pourraient lui mériter une place de choix dans la pharmacopée, entre le camphre et le nénuphar. En Orient, on ne met pas cette action en doute. Murray a même raconté, à ce sujet, sur le compte du sultan Mahmed et de sa favorite, une histoire qui n’est pas positivement en leur honneur ; toujours est-il que les propriétés réfrigérantes du café sont certaines, que tous les observateurs les ont constatées ; mais elles sont très passagères et se dissipent aussi vite que l’anxiété épigastrique qui les accompagne.

Il nous reste à envisager le café comme aliment, et ce n’est pas le point de vue le moins intéressant de son étude, car c’est à ce titre qu’il est entré dans nos mœurs et que sa consommation a pris les proportions que nous avons indiquées. Sa composition lui assigne une valeur nutritive incontestable. Après torréfaction, il contient, sur 100 parties, 12,20 de substances azotées, 12,03 de matières grasses et 1,01 de gomme et de sucre, sans compter les substances extractives, et les sels minéraux. Le quart de son poids se compose donc de principes assimilables et propres à la nutrition ; mais la petite quantité qu’on en consomme ne permet pas de tenir un grand compte de ces élémens. La tasse de café qu’on prend après un repas copieux ne constitue pas un supplément alimentaire ; mais c’est un excellent digestif, il stimule l’action de l’estomac, il donne de l’entrain et de la gaieté ; le sentiment de bien-être et d’alacrité qu’il procure s’ajoute à la douce excitation des vins généreux qui l’ont précédé.