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demandons aujourd’hui comment on se débarrassait de la fièvre intermittente alors qu’on ne le possédait pas, à une époque où l’Europe était couverte de marais, où les plus grandes villes, comme Paris et Londres, étaient la proie du paludisme. Le café ne nous a pas rendu les mêmes services, mais il marche immédiatement après le quinquina sur la liste déjà longue des végétaux exotiques dont l’usage s’est répandu chez nous.

Ses propriétés bienfaisantes sont depuis longtemps connues, mais elles n’ont été bien comprises et suffisamment appréciées qu’à partir du moment où la chimie en a isolé le principe actif, et où la physiologie expérimentale en a analysé les effets. Les plus caractéristiques et les plus précieux sont dus à la caféine : toutefois cet alcaloïde n’a pas identiquement la même action que le café. Il en est ainsi du reste de tous les principes immédiats ; la quinine et le quinquina sont choses différentes ; la morphine et l’atropine ne produisent par les mêmes effets que l’opium et la belladone, l’alcool n’a pas les propriétés bienfaisantes du bon vin.

La caféine agit surtout sur le cœur, et le café sur le cerveau ; c’est là sa qualité la plus précieuse, celle que nous analyserons tout d’abord : c’est un stimulant de l’action cérébrale. Il écarte le sommeil et permet de prolonger les veilles. L’insomnie qu’il amène n’a rien de pénible ; elle est calme, lucide et laisse à la pensée toute son élasticité. Sous son action, le cerveau, doucement stimulé, échappe, dans une certaine mesure, au sentiment des réalités pesantes de la vie. Les sens deviennent plus sagaces, l’imagination plus vive, le travail plus facile ; la mémoire jouit d’une puissance insolite, les idées coulent avec une fluidité inconnue, en même temps qu’un sentiment de bien-être se répand dans toute l’économie.

Le café prévient la fatigue intellectuelle comme la fatigue physique. J’ai analysé ce dernier effet en parlant de la caféine, et très vraisemblablement c’est le même mode d’action qui s’exerce, dans le premier cas sur le cerveau, dans le second sur le système nerveux moteur. Ce qui est certain, c’est que le café, comme son alcaloïde, produit une sensation très agréable de bien-être, d’alacrité corporelle, de défatigue en un mot. C’est là ce qui explique l’usage presque abusif qu’on en fait dans les pays chauds. Les indigènes, comme les Européens, trouvent, dans cette boisson, un moyen de résister à l’action déprimante du climat. Aux colonies, c’est la première boisson qu’on prenne en s’éveillant ; elle réconforte et rend agile, elle aide à supporter la fatigue de la journée. Aucune boisson n’est plus efficace que le café noir pour calmer la soif et modérer les sueurs profuses des régions intertropicales.