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II

Au commencement du second acte, on voit le peuple assemblé devant la vieille église que Gerd méprise et raille, et qui se dressera devant nous pendant presque toute la durée du drame, comme un point fixe autour duquel gravitent les pensées et se déroule l’action.

Les habitans du district, qu’une famine a décimés, demandent du pain à leurs autorités. Le bailli fait une distribution de vivres.

L’église est au croisement des deux chemins qui mènent du fiord à la montagne. Eynar et Agnès arrivent d’un côté ; ils ont eu déjà le temps de vider leurs bourses. Brand s’avance, venant de l’autre côté, et le peintre, ému, lui expose la situation. Le bailli lui demande une aumône pour le peuple. Il la donnera à sa façon : se plaçant au milieu de la foule, le voici qui l’apostrophe de sa voix puissante, et la félicite de l’épreuve que le Seigneur lui envoie, épreuve de Job, signe de la miséricorde divine : « Un peuple vivace se trempe dans la détresse. L’esprit amolli acquiert un regard d’aigle, la volonté débile secoue sa torpeur. Jusque-là, cependant tout le troupeau ne valait pas le prix de sa rédemption. » Des rumeurs s’élèvent. Hommes et femmes crient : « Il insulte à notre misère ! » tandis que le bailli censure sévèrement les paroles du prêtre, dans lesquelles il flaire un esprit subversif.

Une tempête, qui se préparait déjà, se déchaîne sur le fiord. La foule effrayée croit que cet homme attire sur elle la colère céleste. On tire les couteaux, on ramasse des pierres, on veut lui faire un mauvais parti, quand une femme accourt, les vêtemens en lambeaux, appelant à l’aide. Il n’est pas question de pain, cette fois-ci ; c’est une âme qu’il s’agit de sauver : « Un prêtre ! appelle-t-elle, un prêtre ! »

Un homme a tué son enfant, qui se mourait de faim ; puis il s’est frappé lui-même. Mais la mort ne vient pas. « Il tient le cadavre sur ses genoux, et hurle en invoquant l’enfer. »

BRAND. — Voilà où le secours est urgent !
LE BAILLI. — Ce n’est pas un homme de mon district.
BRAND (se tournant vers la foule). — Détachez un bateau !

La tempête fait rage, des blocs de pierre s’éboulent dans le fiord, un pont a croulé, et la communication de terre est rompue. Personne n’ose conduire le prêtre. D’un pas ferme, il va lui-même démarrer une barque, y monte, déploie la voile, saisit la gaffe et se cramponne au rivage. Il faut un homme au gouvernail. Pas un