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avait déjà étudié à Rome, à Dresde, à Berlin, à Francfort, à Florence, « parcourant l’Europe avant la vie », et l’esthétique avant le goût, qui permet de distinguer et de se fixer. Plus tard, il a visité les ruines du Colisée avec Robert Browning, les rives du Nil avec M. de Lesseps, les vieux châteaux allemands avec Steinle, les salons de Paris avec Decamps et Ary Scheffer, travaillant partout, s’imprégnant toujours, de soleil à Damas, de brouillard à Francfort, peignant des mers désolées en Irlande, des rochers dans la vallée de Josaphat, des orangers en Andalousie, des oliviers en Italie, et remplissant ses malles comme son imagination de tout ce qu’il voyait de meilleur, de plus beau, de plus pur. Revenu à Londres, dans la force de l’âge, il a déballé toutes ses trouvailles. Sa somptueuse habitation de Holland Park Road est le temple de l’Eclectisme. On y voit une salle arabe avec une fontaine jaillissante au milieu, et, à côté, on y trouve des vases grecs en noir et rouge et des moulages du Parthénon ; les majoliques persanes y alternent avec les vieilles chaises arabes garnies de miroirs, et, çà et là, un bronze florentin vous accueille, ou bien un paon empaillé. On doute si l’on est chez un sculpteur ou chez un peintre. A chaque instant on rencontre une statue. Outre que M. Leighton en a exposé de grandes, — comme l’Athlète luttant contre un serpent, ou le Fainéant qui s’étire, — il modèle constamment des statuettes pour mieux étudier les raccourcis qu’il met dans ses tableaux. Ses admirations offrent le même mélange : aux places d’honneur, sont des portraits de Tintoret et des paysages de Corot, des études de Reynolds et des ébauches de Delacroix, une nymphe de Watts et des dessins de Steinle, une Iris de Paris Bordone et une Flagellation de Sébastien del Piombo ; puis tout à coup, une inscription du Koran. C’est un Panthéon avec des autels à toutes les formes d’art, à tous les dieux de l’esthétique, et l’on cherche machinalement des yeux s’il n’y a pas encore un autel vide, dédié « au Dieu inconnu ».

Au premier abord, M. Leighton ressemble à sa maison. Génie facile, caractère accommodant, praticien assimilateur, il est ouvert à toutes les esthétiques. C’est le modèle des présidens. Homme du monde impeccable, il sait faire coexister en bonne intelligence autour de lui, et dans son œuvre même, une foule d’idées diverses et même contradictoires, avec cette largeur d’esprit que beaucoup de gens ne puisent que dans leur profonde indifférence des choses d’art. Mais allez un peu plus avant dans l’examen de ses conceptions et de son style. Ne vous arrêtez pas à son Odalisque au cygne ni à l’Amour donnant à manger aux colombes, qu’on attribuerait volontiers à M. Bouguereau, ni même à ses fresques