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Que sont ces petits bonshommes ? Des chérubins ou bien des petits amoretti comme Altdorfer en met de fort indécens, dans un Repos pendant la fuite en Égypte, qui est au musée de Berlin, grouillant dans un bassin renaissance, pour que Jésus s’amuse et qu’il leur donne du raisin ? Non. Ce sont de petits bethléemites, des camarades de l’Enfant-Dieu, qui jouaient devant sa porte, qui hier encore étaient pleins de joie, de santé, et ouvraient sur la vie ces grands yeux étonnés et graves qu’ont les tout petits enfans et qui les font ressembler à des explorateurs d’un monde inconnu. Aujourd’hui, le couteau des soldats d’Hérode les a jetés hors de ce monde. Mais déjà ils sont entrés dans le royaume des cieux. Le dur passage est terminé. Il l’est tout à fait pour ceux qui marchent en avant, brûlant de l’encens, tendant des palmes. Ce sont là des anges. Le deuxième groupe, qui entoure l’âne, est moins conscient de son office divin : il s’amuse. L’un d’eux, tout en marchant, penche la tête sur sa poitrine, remarque, sur sa petite robe, la déchirure faite par le glaive qui l’a tué, et s’étonne peut-être de ne plus retrouver sur son corps glorieux une seule blessure : pour sa logique enfantine, il y a là un problème insoluble et que de vieux théologiens, en effet, seraient fort empêchés d’éclaircir. Enfin, un troisième groupe se compose de trois petits qui arrivent de Bethléem en planant dans l’air et n’ont pas encore rejoint le cortège triomphal. Ils crient, pleurent, fourrent leurs gros poings dans leurs petits yeux, comme s’ils souffraient encore du coup qui les a mis dans l’éternité bienheureuse et s’ils trouvaient que le soldat leur a fait bien mal. L’un d’eux même, accroché au cou de son compagnon, semble ne pas s’être réveillé encore de la torpeur de la mort ; l’auréole qui couronne les autres ne s’est pas encore posée sur lui et flotte à quelque distance de sa tête. Rien de plus poignant, dans toute la peinture religieuse, que ce trio de bébés-martyrs. Et pour bien montrer qu’il ne s’agit pas là d’une simple scène de nursery, parmi les bulles d’air qui s’élèvent du ruisseau, l’une d’elles, énorme, avant de retomber en pluie, nous fait voir dans ses reflets irisés, comme la chose la plus naturelle du monde : le Rêve de Jacob, l’Arbre de vie et l’Adoration des cieux.

La foi robuste qui a inspiré l’ensemble de son œuvre détermine M. Hunt jusque dans le détail de ses accessoires, de sa technique et de sa facture. S’il ne peint que ce qu’il croit, il peint comme il croit, sans défaillance, sans faux-fuyans, avec les minuties d’un entomologiste qui décrit et les scrupules d’une dévote qui se confesse. Ce n’est pas lui qui nous représenterait les Voix, comme Bastien-Lepage, sous la forme de « phantosmes sans os »