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la Renaissance l’avait transformée. Pour cela, il fallait l’étudier sur place. Il pensait que la vérité serrée de près serait encore assez éloquente et que même sans les anges, sans les nimbes, sans les colonnes corinthiennes, les baldaquins et toute cette fantasmagorie idolâtrique, des maîtres italiens, la vue de ce que le Nazaréen a souffert remuerait les âmes contemporaines. Il partit.

Hien que ce trait nous découvre ce que voulut être et ce que fut Holman Hunt. De philosophique et vaguement moralisateur qu’il était avec Watts, l’art se resserre avec lui dans les limites du christianisme ; et en même temps les contours s’arrêtent, les gestes se définissent, les lointains s’éclairent, des détails apparaissent. Pour la pensée, il semble qu’on passe des espérances d’un spiritualiste aux convictions d’un croyant et pour les yeux, qu’on mette au point le miroir d’un objectif. Cette figure impersonnelle, insexuelle, qui s’élevait au ciel, emportant des enfans dans les plis de son manteau, se précise, s’enveloppe de lumière, se couronne d’épines et nous reconnaissons le Christ. Ces petits enfans que la Mort prend dans ses bras, sans qu’on puisse deviner ce qu’elle en fera, s’éclairent d’une auréole, courent autour de Jésus, des roses et des palmes à la main et nous voyons que c’étaient les Saints Innocens : « Vous savez, écrit-il de Jérusalem à un ami, combien au-dessus de toutes mes affections humaines est mon amour pour le Christ. » Sa foi est large, bienveillante, curieuse de toutes les contradictions, mais inébranlable. Dès sa jeunesse, dans la boutique où il se délassait du Doit et Avoir en peignant sur la fenêtre des mouches que le garçon de bureau s’obstinait à vouloir chasser, il a lu Voltaire et Volney, Byron et Shelley. Plus tard, lié avec des positivistes, il a, dans les longues causeries, agité le problème des avenirs humains. Puis dans ses nombreux voyages en Palestine, il a emporté avec lui les ouvrages de Strauss et de Renan à Jérusalem : il les a lus à fond, exhaustively ; il les a médités dans sa petite maison arabe, le soir, lorsque l’ombre enveloppait une fois de plus le sommet voisin du Golgotha ; mais plus il fit les adversaires de ses croyances, plus il se sent heureux et raffermi. Chaque coup porté à sa foi l’enfonce plus profondément dans son cœur. « Si j’avais eu moins d’occasions de connaître l’histoire vraie, dit-il, peut-être que le travestissement sentimental que tel et tel écrivain parisien a mis à la Bible, accommodée à l’intellect moderne, m’aurait fait impression et inspiré le respect que beaucoup d’hommes ont pour leurs auteurs. » Ainsi l’on a tenté d’expliquer telle apparition par une illusion produite par les vapeurs sur certaines montagnes. Mais il a été voir ces montagnes, il les a tenues sous le vif rayon de son œil et les a fixées du bout de son