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grandes choses, écrivait-il un jour à un ami, il faut et il suffit qu’on aille jusqu’à la limite de ses forces, sans s’arrêter à considérer si la chose est grande ou petite en elle-même. Le réellement grand est tellement au-dessus de ce qu’on peut atteindre, que toute comparaison deviendrait une constatation de son indignité. Travailler avec toutes les énergies du cœur, mais aussi avec toute la simplicité de son cœur, voilà le devoir, et quiconque l’a fait a le droit d’être content, quel que soit le résultat de ses travaux… Si j’ai servi à montrer la voie pour que d’autres fassent mieux, je serai content, mais je ne m’attends pas ni ne désire que mon œuvre soit trouvée grande en elle-même. »

Idéaliste, M. Watts ne l’est pas seulement par les sujets qu’il traite et par le but qu’il poursuit. Il l’est plus encore peut-être par les moyens qu’il emploie. Ce n’est pas seulement sa conception générale de l’art, qui se rattache à des dogmes moraux, c’est sa méthode, c’est sa façon à lui de composer, de dessiner et de peindre. En tout, on le trouve déterminé par des idées, non par des choses et non par l’idée de beauté, mais par l’idée de convenance, de noblesse et de stabilité. Il ne choisit nullement un sujet pour ses belles formes ; car les formes, tout d’abord, il ne les voit pas. Ses idées ne naissent pas toutes parées, tout armées, revêtues de lignes et de couleurs, mais bien toutes nues, comme par exemple l’idée que l’on n’est riche au ciel que de ce que l’on a donné sur la terre, et pendant six, dix, quinze ans quelquefois, elles vont dans le monde des choses, comme un Bernard l’Ermite sur la plage, cherchant un vêtement. Jusque-là ce n’est que par un artifice de langage qu’on peut dire qu’il les imagine ; comme elles ne sont pas revêtues d’images, il est plus vrai de dire qu’il les conçoit. En 1869, il faisait le portrait d’un homme jeune, riche, distingué, instruit, qu’attendaient, semblait-il, les plus beaux horizons d’avenir, mais que minait un mal incurable. Les séances se poursuivaient par intervalles. A chacune d’elles, l’artiste attentif aux moindres expressions de la physionomie, sentait que le mal avait fait des progrès et que la fin était proche. Il remarquait en même temps les figures anxieuses des parens, de la fiancée, des amis. Tout ce que l’affection peut faire pour arrêter encore un peu la mort qui planait sur cette demeure, on le fil. Il vint alors à la pensée de Watts un projet d’allégorie mythique : l’Amour plus faible que la Mort. Voilà une conception pure. Elle n’emprunte au spectacle que le peintre a en ce moment sous les yeux rien de plus que l’idée. Cette idée, un jour, se transformera en image : un enfant ailé, à demi renversé contre une porte où il écrase ses ailes frémissantes et tâchant, de son bras tendu, de repousser