à bord d’un vaisseau maudit, et qu’il intercepte les lettres écrites par les matelots d’un tel vaisseau à leurs amis restés à terre ? »
Et Edgar Poe remercie Tucker de ses conseils, le prie respectueusement de continuer à l’éclairer. Et Tucker continue. Dans le même temps, une autre célébrité, Paulding, annonce à Poe que la maison Harpers refuse de publier ses contes « à cause d’une certaine obscurité dans leur application, qui empêcherait la moyenne des lecteurs d’en comprendre le sens » ; et ce Paulding ajoute : « Je voudrais que M. Poe appliquât son humour et ses connaissances à des sujets de satire plus familiers : aux vices et aux travers de nos compatriotes d’à présent. »
Et non seulement Poe est enchanté de la part, d’éloges que contiennent ces lettres, mais les objections qu’on lui l’ait l’émeuvent profondément ; et ce sont alors de lettres pour se justifier ou pour promettre de se corriger. A Cooke, qui lui avait écrit à propos de Ligeia, il répond : « Cher monsieur, j’ai eu de votre lettre plus de bonheur que je ne saurais vous dire. Vous avez lu jusqu’au fond de mon esprit comme dans un livre, et je n’ai encore trouvé personne qui l’eût fait. Willis en a entrevu un coin, Tucker en a deviné la moitié, mais vos idées sont l’écho direct des miennes… Au sujet de Ligeia vous avez raison. La perception graduelle de la résurrection de Ligeia dans la personne de Rowena était un sujet bien plus haut et plus émouvant que celui que j’ai traité. Et j’ai eu l’idée de ce sujet, et je l’aurais traité si déjà dans Morella je n’avais traité un sujet analogue. De sorte que j’ai dû me borner à faire deviner à mon héros, dans une sorte de demi-conscience, que c’était Ligeia qui était devant lui. Il y a cependant un point où j’ai failli. J’aurais dû montrer que la volonté échoue fatalement à réaliser son vouloir : une nouvelle défaillance se serait produite, et Ligeia aurait décidément disparu pour céder la place de nouveau, dans la tombé, à lady Rowena… Mais il faudra bien que mon conte reste maintenant tel qu’il est. Il me suffit que vous l’ayez jugé compréhensible. Et pour la foule, peu m’importe son avis ! J’avoue même que, cette fois, je serais assez fâché d’être compris d’elle. Je vous enverrai dès que je pourrai un autre de mes contes, William Wilson. Ce n’est pas le dernier que j’aie écrit, mais c’est peut-être le meilleur. »
Dans une autre lettre au même Cooke, écrite sept ans plus tard, en 1846, Poe revient encore sur le sujet de ses contes : « Merci pour vos complimens. Si j’étais aujourd’hui d’une humeur plus sérieuse, je vous dirais franchement combien vos paroles ont fait frémir mes nerfs, non point à cause de vos éloges, mais parce que je sentais que vous me compreniez. Vous avez raison dans ce que vous dites de mon Dupin et de la façon dont il coupe les cheveux en quatre : tout cela n’est que pour l’effet. Ces contes de ratiocination ne doivent leur popularité qu’à la nouveauté du genre. Je ne prétends pas qu’ils manquent d’ingéniosité, mais on les croit plus ingénieux qu’ils ne sont, sur la fois de l’air de