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jaloux, se piquant de posséder un corps enseignant tel qu’on en trouverait difficilement l’égal dans tout l’Ouest.

Les leçons de français m’attirent. En ce moment les élèves lisent, traduisent et expliquent le théâtre de Victor Hugo. Ils en sont à Hernani, et rien n’est plus drôle que l’accent donné à ces grands vers impétueux, à ces noms espagnols anonnés, écorchés. Mais ils comprennent, ils comprennent même assez, je crois, pour trouver le caractère de Hernani celui d’un fou. Je leur procure une satisfaction réelle en leur disant que même en France ses sentimens paraissent un peu exagérés. Il y a là, parmi ceux que met évidemment sur le gril la scène épineuse des portraits, quelques-uns de ces beaux garçons hâlés, naïfs et solides dont j’ai déjà parlé, de jeunes géans venus de fermes lointaines et qui ont quitté la charrue pour les livres. L’un d’eux m’aborde avec hésitation et me demande d’un ton de curiosité passionnée s’il est vrai que l’admiration baisse en France pour un aussi grand homme que Napoléon. Enhardi par ma réponse, il m’exprime ensuite sa conviction, partagée par beaucoup d’autres, qu’un soldat obscur a été fusillé à la place du maréchal Ney, et que celui-ci a pu se réfugier en Amérique. Les questions des jeunes filles roulent sur des sujets beaucoup plus personnels : ce qu’elles veulent savoir, c’est si l’instruction des femmes en France fait quelques progrès ; si nous sommes toujours enfermées dans des couvens ; si vraiment la co-éducation n’existe pas chez nous !

Une très gracieuse personne professe, avec l’élocution, le système Delsarte, qui développe de beaux gestes et de belles attitudes prises facilement par les demoiselles, imitées avec une attention et une lourdeur tout à fait amusantes à observer par les garçons.

Je tombe un matin dans la classe qui rassemble cinq ou six hommes devant la chaire d’une jeune fille. Il est question d’histoire contemporaine et politique, de la constitution des États-Unis. Elle paraît très gentiment embarrassée de sa lâche et dirige la conversation pour ainsi dire avec le tact d’une maîtresse de maison intelligente, encourageant la discussion de sujets sérieux plus encore qu’elle ne s’y mêle.

Souper au séminaire. Les étudiantes qui ne sont pas de la ville y résident en foule. Autour de la table se trouvent des professeurs, hommes et femmes, plus quelques dames invitées. La salle à manger où nous sommes communique avec une autre beaucoup plus grande où les pensionnaires ont pris place par groupes de six ou huit à de petites tables séparées. La principale