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marchandises sur l’épaule pendant les vacances, et cela des années de suite, pour payer mon collège. On m’appelait l’honnête petit colporteur ». — Et je voyais que cette épithète resterait toujours parmi celles qui l’avaient le plus flatté, quoiqu’il eût atteint depuis à de grands succès. Nombre d’élèves à Knox-College sont de la même étoffe solide ; il arrive que ces retardataires donnent par la suite des talens supérieurs et vraiment personnels. On m’en montre plusieurs qui, durant l’exposition de Chicago, ont sans aucune mauvaise honte employé les deux mois et demi dont ils pouvaient disposer à servir dans les restaurans de la foire et à pousser les petites voitures. Maintenant les voici plongés dans l’Énéide. L’influence bienveillante et gaie des jeunes filles sur cette catégorie de campagnards est des plus heureuses. Le coup de fouet de l’émulation les excite ; ils ont honte de se laisser distancer par leurs frôles camarades, et en outre la bonté féminine les polit presque à leur insu.

Si le professeur qui fait avec une verve et une clarté remarquables la leçon de chimie n’interrogeait de préférence devant moi les étudiantes pour montrer ce qu’elles savent à une étrangère (très incapable d’en juger), je crois que les garçons reprendraient peut-être ici l’avantage. Mais nous avons sur ce chapitre des opinions préconçues auxquelles les aptitudes des Américaines pour les sciences donnent tort apparemment.


… Invitée dans plusieurs maisons de la ville, où je trouve la meilleure compagnie, des femmes simples et instruites à la fois, causant de tout, interrogeant avec intelligence. Évidemment le contact du collège est un stimulant perpétuel, et la société des professeurs une précieuse ressource. Quelques-unes ont voyagé, mais elles ne sont pas possédées par le besoin fiévreux de déplacement que j’ai remarqué ailleurs ; aucune trace de prétention, non plus, — ce qui repose. La diversité des dénominations de croyances dans cette petite ville si religieuse en bloc est curieuse. Un certain lunch me réunit à une demi-douzaine de dames fort liées entre elles, bien qu’appartenant à des églises différentes. J’ai en face de moi une baptiste, et à mes côtés une aimable universaliste, dont la religion me plaît, puisqu’elle lui permet d’être sure de mon salut éternel comme du sien. Les universalistes ne damnent personne.


Je continue à suivre les cours faits au collège par des femmes. Elles n’occupent que le rang secondaire d’instructors ; Knox-College maintient la suprématie de ses professeurs avec un soin