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n’allions-nous pas nous trouver en face d’une insurrection armée ? La propagande révolutionnaire continuait enflammée, implacable. Les membres du gouvernement provisoire, des républicains authentiques, qui avaient cent fois donné des gages à leur parti, étaient représentés comme inféodés à la réaction. Nous sentions autour de nous le mécontentement gronder et grandir.

Le gouvernement prenait déjà ses mesures en prévision d’une lutte qui paraissait inévitable. Un homme d’une grande droiture et d’une grande énergie, très républicain, mais très ferme, Clément Thomas, remplaçait à la tête de la garde nationale l’incapable général de Courtais. Des régimens intacts, qui n’avaient pas traversé les scènes énervantes des journées de Février, entraient dans Paris. Les généraux d’Afrique, Cavaignac, Lamoricière, Duvivier, arrivaient l’un après l’autre.

Malgré tant de bonnes volontés et tant de courages, tout cela ne nous eût pas sauvés si le gouvernement n’avait pris dès l’origine la précaution d’organiser et d’armer les bataillons de la garde mobile. Ces vingt mille hommes qu’il avait revêtus d’un costume militaire, disciplinés, exercés, eussent presque tous passé à l’émeute s’il ne les avait heureusement transformés en soldats de l’ordre. C’étaient en général de très jeunes gens, enfans ou plutôt gamins de Paris, arrachés par la solde, par l’uniforme et par la discipline aux tentations de la rue. Peu à peu les officiers qu’ils s’étaient donnés, qu’ils avaient choisis eux-mêmes dans la bourgeoisie libérale ou parmi les anciens militaires, leurs sous-officiers, qui sortaient en général de l’armée, avaient exercé sur eux une action bienfaisante. Quand arrivèrent les journées de Juin, ils étaient déjà détachés de leur ancien milieu, mûrs pour la défense de l’ordre. Ils le défendirent avec un courage héroïque, quelquefois aussi, il faut bien le dire, avec férocité.

Au premier moment, on se demanda ce qu’ils feraient entre leurs amis de la veille et ceux du lendemain. Les insurgés ne leur laissèrent pas la liberté du choix. Attaqués des premiers, attirés peut-être dans quelque guet-apens, ils répondirent à cette provocation par un long cri de vengeance. Tous ceux que nous vîmes au feu, superbes d’audace et d’élan, croyaient venger quelques-uns de leurs camarades assassinés, martyrisés par les émeutiers. Ils s’excitaient entre eux en se racontant des scènes horribles. L’histoire ou la légende du mobile scié entre deux planches fit en un clin d’œil le tour des bataillons.

Dès le début de l’insurrection, l’Assemblée nationale menacer s’entoura de toutes les forces dont elle était sûre. L’Ecole normale tout entière fut invitée à se rendre en armes auprès des