graves, des accords élémentaires. Les six premiers mois et les huit premières mesures déterminent le sujet et, sans nulle intention descriptive, le lieu de la scène. Sur : oravit et sur : ad patrem seulement, pèse une modulation déjà lourde. A partir du : Pater, si fieri postest, le mouvement se ralentit, les notes se traînent, recommandant à notre ferveur chaque parole de la prière d’agonie. Transeat a me, gémit la voix du soprano, montant seule au-dessus des autres voix ; transeat a me, reprennent-elles, ensemble et radoucies, transeat a me calix iste, et sur la dominante, la note de l’incertitude, leur plainte expire sans qu’il lui ait été répondu. — Spiritus quidem promptus est, caro autem infirma. Cela n’est qu’une maxime morale, et la musique l’énonce avec une sorte d’impassibilité, non sans marquer toutefois, naïvement, par deux mouvemens opposés, la promptitude de l’esprit et la faiblesse ou la lenteur de la chair.
Quant au verset : Vigilate et orate, c’est une merveille. L’art de Palestrina, disions-nous plus haut, n’a jamais rien de pittoresque ni d’extérieur, et en fait la disposition de l’accord (car c’est un simple accord) que nous allons étudier se retrouve en mainte page du maître où l’on ne saurait évidemment l’interpréter ainsi[1]. Mais ici et par exception, il semble bien que, cherchée ou non par le grand artiste, une impression de paysage s’impose. On peut du moins, l’ayant ressentie, la proposer. Elle ajoute à la beauté de la pensée un peu de la beauté de la nature ; elle ouvre pour ainsi dire une fenêtre sur la nuit de Gethsémani. « Vigilate et orate, Veillez et priez. » Là encore il n’y avait qu’un précepte ; la musique y ajoute un tableau. Ce conseil, par qui fut-il donné pour la première fois ? A qui et en quel moment ? Par l’agonisant divin, à ses disciples, sous les étoiles d’Orient, dans le silence de la campagne endormie. Alors que fait Palestrina ? Ce : Vigilate ! déjà par lui-même harmonieux, surtout prononcé à l’italienne, il le confie à trois voix de femmes seulement, aux voix les plus douces et les plus tendres, et toutes trois le posent tour à tour sur les trois notes descendantes d’un accord parfait. Passant ainsi de l’une à l’autre, il flotte longuement sur la morne veillée, comme un mot d’ordre qu’échangeraient des sentinelles divines. Puis la vision évoquée s’efface, et les dernières mesures : ut non intretis in tentationem, s’adressent à l’âme seule. Mais, ne fût-ce qu’un instant, au sentiment la sensation a été unie, et c’est pour cela qu’en ce peu de lignes est contenu l’un des plus rares chefs-d’œuvre de Palestrina.
- ↑ Par exemple dans le répons suivant, sur les paroles : Ecce appropinquat hora, et encore dans une antienne pour le dimanche des Rameaux : Pueri Hebrœorum.