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l’impureté de cette alliance, de cet alliage plutôt de la chair et de l’esprit, où la chair l’avait emporté, et l’Eglise, durement rappelée à elle-même, n’eut que le temps de rompre l’hymen dont elle avait espéré de plus glorieux fruits. Elle répudia la Renaissance, et pour sauver du naufrage la barque de Pierre, elle sacrifia les trésors dont elle l’avait chargée. Aux papes amis des arts succédèrent les papes gardiens de la foi, et le sourire dut se retirer de la face de Rome.

Pauvre Rome ! De quel deuil elle était vêtue, de quelles ruines couverte, lorsque l’enfant de Préneste la vit pour la première fois ! On avait attenté à son double patrimoine : on avait outragé en elle la vérité et la beauté. Contre la vérité la réforme venait d’élever une voix à laquelle la moitié de l’Europe semblait déjà près d’obéir, et sur la beauté romaine les hordes de Charles-Quint et de Bourbon avaient porté leurs mains barbares. « Les églises, les palais, les couvens, les plus humbles demeures, écrit un éloquent biographe de Michel-Ange, avaient été mis à sac ; les manuscrits et les tableaux précieux, lacérés, dispersés ou souillés… les lansquenets avaient fait un corps de garde des Stanze du Vatican et accroché leurs hallebardes sur l’Ecole d’Athènes… Ni les Huns, ni les Goths, ni les Vandales n’avaient commis de telles horreurs ; les Turcs et les Maures eussent été moins inhumains. Et cela dura neuf mois… La famine et la peste vinrent compléter l’œuvre de dévastation. Plus de 30 000 personnes périrent ; les habitans, de plus de 85 000, étaient réduits à 32 000. Comme des hirondelles effarouchées, les artistes avaient fui dans toutes les directions devant cet hiver de barbarie. « Nous avons passé par l’eau et par le feu, disait Sébastien del Piombo, et nous avons souffert des choses que l’on n’avait jamais imaginées[1]. » Rome alors était bien la cité sur laquelle pleure le prophète, et sur laquelle, après trente ans, se souvenant encore de ses malheurs, devait pleurer à son tour le musicien des Improperia.

Paul III, sous le pontificat duquel Palestrina reçut les leçons de Goudimel, Paul III s’efforça de relever la foi plus encore que les arts. A vrai dire il aima Michel-Ange et Michel-Ange l’aima. Il confirma la commande du Jugement dernier faite par son prédécesseur Clément VII au peintre du plafond de la Sixtine. Il hâta l’achèvement de la terrible fresque sur le mur de l’autel, à une place que jamais jusqu’alors n’avait attristée la représentation des éternels supplices. Mais, comme dit encore M. Cherbuliez[2], « Paul III fut le Janus des papes. Ce Farnèse avait deux visages : l’un tourné vers le passé, l’autre vers l’avenir. » Tout en

  1. Michel-Ange, par M. Emile Ollivier.
  2. Le Prince Vitale.