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religieuse antérieure à Palestrina, l’abbé Baini rejette les uns et retient les autres. Il a démontré d’abord que cette musique ne péchait ni par l’abus des ornemens ou des fioritures, ni par la confusion des voix avec les instrumens. L’ornementation musicale est postérieure à l’époque palestinienne : le trille notamment ne date que de la fin du XVIe siècle. Quant aux instrumens, ils n’accompagneront pas les voix à l’église avant le milieu du XVIe siècle également. C’est donc par d’autres, par deux autres vices que la musique sacrée était corrompue et menaçait de périr. De ces deux vices, l’un était la complication technique poussée à tel point, que, dans le chaos des imitations, canons et artifices de tout genre, les paroles chantées ne s’entendaient plus ; l’autre était l’introduction dans la musique sacrée d’élémens profanes et parfois impurs. De ces abus et de ces scandales les exemples sont nombreux et connus. La scolastique du moyen âge avait mis la pensée musicale à la gêne, et de cette pensée l’écriture s’ingéniait à reproduire en figures saugrenues, — comme le canon de la croix ou celui de l’écrevisse, — les puériles fantaisies, les contraintes odieuses, les inversions et les contorsions contre nature. Quant au texte, il étouffait sous cet amas de notes, dans cette gangue barbare, et d’ailleurs il avait depuis longtemps cessé de compter pour rien. Les diverses voix chantaient habituellement des paroles diverses. Ainsi, dans une messe de Hobrecht, tandis qu’une des parties attaquait l’Incarnatus, les autres accompagnaient avec : O clavis David et sceptrum domûs Israël.

Non content de compliquer ainsi la musique d’église, le moyen âge l’avait profanée. Les messes, écrites à l’origine sur des mélodies de plain-chant dont elles prenaient le titre : messe Ave Maria, messe Viri galilæi, messe Ecce sacerdos magnus, avaient fini par être composées sur les thèmes populaires les moins canoniques, voire les plus inconvenans. C’était, en Italie : Mio marito mi ha infamato, ou : Baciate mi, o cara. En France : A l’ombre d’un buyssonet, ou la fameuse chanson de l’Homme armé, dont se servit encore Palestrina lui-même. Dans une messe de Hobrecht, au Kyrie, le ténor chantait : Je ne vis oncques la pareille ; au Sanctus : Gracieuse gente meunyère ; au Benedictus : Madame, faites-moi savoir. On allait parfois jusqu’à parodier les textes sacrés, et pour rappeler à Louis XII une promesse qui n’avait pas été tenue, Josquin des Près, dit-on, composa et dédia au roi un psaume sur ces paroles de fantaisie : « Memor esto verbi tui servo tuo. Souviens-toi de la parole donnée à ton serviteur. »

Complication des parties empêchant l’audition des paroles, usage des thèmes profanes, voilà donc les deux vices dont il fallait purger la musique religieuse.