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à surgir. Là où, par impossible, l’État refuserait d’en créer, l’enseignement secondaire libre, qui n’est pas assez inhabile pour ne pas saisir les bonnes circonstances, en établirait sur-le-champ, et l’Etat se trouverait acculé à cette nécessité ou de faire plus tard ce qu’il aurait refusé tout d’abord, ou de laisser passer à l’enseignement libre une partie de sa clientèle.

Mais en dehors de toutes ces raisons, — et eût-on le pouvoir de ne créer les nouvelles classes qu’en nombre strictement limité, — les créer en ce nombre serait une entreprise irréalisable. Une par académie, deux dans les académies les plus vastes, c’est une vingtaine pour la France. Or les nouveaux élèves seront douze cents en moyenne, peut-être davantage. Ce serait donc, pour chacun des lycées privilégiés, un contingent nouveau de cinquante à soixante élèves. Passe pour l’enseignement théorique ; une classe de soixante élèves, même en physique et en chimie, n’a rien d’exorbitant ; mais pour l’enseignement pratique, est-il en France, je ne dis pas vingt lycées, mais un seul, le plus grand et le plus neuf, qui ait des laboratoires suffisans ? Presque tous viennent d’être reconstruits à grands frais par les villes et l’Etat ; on les a aménagés pour les besoins réels et permanens de l’enseignement secondaire, les agrandirait-on, à peine achevés ? Obtiendrait-on, pour ce gros imprévu, le concours financier des villes ?

D’ailleurs serait-ce un bien pour la discipline générale de ces lycées que cette catégorie particulière d’élèves ? Sans doute la règle d’une maison d’éducation n’a pas l’uniformité et la rigidité d’une règle monacale, mais encore faut-il que tous les élèves se sachent et se sentent de la même maison, qu’ils ne se répartissent pas en groupes, tendant à prendre des privilèges, une constitution à part. Dans les grands établissemens, où se donne la préparation aux Ecoles du gouvernement, fatalement, les candidats à une même école se rapprochent, s’unissent, forment un petit bataillon qui a son nom, son histoire, sa règle secrète, et jusqu’à ses fêtes. « J’ai assez des Taupins et des autres, disait un proviseur, au moment où se discutaient devant le Conseil supérieur les décrets de 1893 ; je ne veux pas des Carabins. » Il avait raison ! Au lycée, les futurs étudians en médecine, surtout avec les latitudes de mouvemens qu’exige la vie de laboratoire, eussent vite formé un groupe à part, très nettement et très fortement caractérisé.

On ne pouvait donc songer à quelques lycées de choix ; et force était d’envisager l’hypothèse pour tous, et aussi pour les collèges de plein exercice. Mais alors aux difficultés, aux impossibilités plus haut signalées, il s’en joignait de nouvelles. D’abord l’insuffisance des locaux à peu près générale, puis celle du matériel scientifique. Les lycées sont bien pourvus d’un cabinet de