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appréhensions qu’il avait conçues à cet égard, et dont il commençait à être inquiet depuis quelques jours. »

Frédéric, voyant qu’il avait affaire à des gens si faciles à se laisser convaincre, ne se fit pas faute de les entretenir dans cette humeur confiante et à propos de quelques signes de défiance que Knyphausen avait cru encore apercevoir chez quelques-uns des ministres : — « Vous ne manquerez pas de vous ouvrir là-dessus envers M. de Rouillé, lui écrivait-il, en lui protestant que tout ce qui lui était revenu n’était absolument que des insinuations malignes et controuvées par mes ennemis, qui ne prétendaient mieux que de me désunir par là avec la France, mais dont il n’y avait pas un mot de vrai. »[1].


On ne sait combien de temps encore se serait prolongé ce lamentable état d’indécision si le discours (qu’on avait eu le tort d’attendre) du roi d’Angleterre à son Parlement, n’était venu, comme un coup de foudre, dissiper toutes les illusions complaisantes dont on aimait encore à se bercer. Le langage de George dépassa, en effet, en fait de provocation, tout ce qu’on pouvait supposer. Il était loin de s’excuser, comme on en avait eu la sotte espérance, d’aucun des actes de violence auxquels la marine anglaise s’était portée avant toute déclaration de guerre (attaque des vaisseaux de guerre, arrêt des navires de commerce et séquestration de leurs marchandises, apparition de bâtimens armés en course sur les côtes de France), et encore plus loin de laisser entrevoir la pensée d’aucune sorte de réparation ou de restitution. Toutes ces mesures (bien que contraires au droit international dès lors reconnu) étaient comprises sur un ton de glorification dans l’assertion générale que rien n’avait été fait que pour défendre les droits de la couronne d’Angleterre contre les usurpations de la France, et que d’autres moyens de soutenir cette légitime résistance allaient être demandés au Parlement. Des adresses passionnées des deux Chambres répondirent à l’appel du souverain, et une majorité se trouva même dans la Chambre des communes pour assurer le roi qu’on le défendrait contre toute attaque dont il pourrait être menacé, fût-ce dans celles de ses possessions qui ne dépendaient pas de la couronne de la Grande-Bretagne, et pour étendre ainsi même sur l’électorat allemand si mal famé la protection britannique.

Ce fut à Versailles, où à peine quelque surprise eût été naturelle, une véritable consternation, et comme le brusque réveil d’un sommeil auquel on s’arrachait à regret. Plusieurs mesures

  1. Frédéric à Knyphausen, 13 septembre, 2 décembre 1755. — Pol. Corr., t. XI, p. 302-409. — Knyphausen à Frédéric, 2 octobre 1755 (Ministère des Affaires étrangères).