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les hésitations vraiment incroyables de Louis XV et de son ministère. D’abord les communications n’étaient pas alors ce qu’elles sont devenues de nos jours : peu de postes régulières, et à l’approche de la mauvaise saison, des routes à peine praticables. Chaque aller et retour de messager employait pour le moins deux semaines entières. De plus, à Vienne, les expéditions se faisaient toujours attendre, Kaunitz ayant soin de consulter la conférence et de la laisser délibérer longuement sur tous les points contestés. Puis tout fut suspendu pendant quelque temps par un événement qui arrivait à peu près régulièrement chaque année : les couches de l’impératrice. Singulier rapprochement et que M. d’Arneth a raison de faire remarquer. L’enfant qu’elle mit au monde était une princesse qui reçut le nom de Marie-Antoinette. Quarante ans après, devenue reine de France, elle était conduite à l’échafaud aux cris d’une foule qui l’insultait sous ce nom de l’Autrichienne. Elle devait être ainsi d’abord le gage et ensuite la victime de l’alliance qui se préparait au moment où elle voyait le jour.

A Paris une interruption d’une autre nature eut lieu également. Quand Bernis, prenant la réponse de Vienne plus au sérieux peut-être qu’elle ne le méritait, crut tenir en main le fil d’une négociation véritable, il renouvela ses instances pour obtenir de n’en plus rester chargé seul. La tâche devenait trop lourde, même matériellement, obligé qu’il était de tout transcrire de sa propre main, aussi bien les communications remises à Stahremberg que celles dont l’ambassadeur lui faisait part et dont il ne permettait qu’à lui de prendre copie. Cédant, bien qu’à regret, à ses prières, le roi consentit à lui adjoindre quatre de ses ministres : le ministre des affaires étrangères, Rouillé, Machault, ministre de la marine, le contrôleur général des finances Sèchelles, et Saint-Florentin, préposé aux principaux départemens de l’intérieur. Il eût été naturel d’y appeler aussi le ministre de la guerre, d’Argenson ; mais le roi le croyant trop hostile à l’Autriche et se souvenant qu’il avait à plusieurs reprises insisté pour l’invasion des Pays-Bas, se refusa absolument à s’ouvrir à lui.

« On peut se représenter, dit Bernis, la surprise des ministres du roi quand je leur racontai ce qui s’était passé depuis le mois de septembre. » (Notez qu’on était déjà arrivé aux derniers jours d’octobre)[1]. S’ils ne laissèrent voir sur leur visage que de

  1. Bernis ne fait dater que du mois de décembre le comité secret formé par l’admission des quatre ministres. Mais dès le 22 novembre, Marie-Thérèse, en réponse à une dépêche de Stahremberg des derniers jours d’octobre, se félicite de cette adjonction qui rend la négociation plus sérieuse.