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refuser son concours, tout auxiliaire de ce genre allait maintenant lui faire défaut. Elle ne pouvait même compter sur l’assistance de sa plus docile et fidèle compagne, cette Hollande qui lui était attachée (suivant la vive expression de Frédéric), comme une chaloupe est amarrée à un vaisseau de guerre. L’abandon de l’Autriche condamnait la République à l’inaction, l’état obéré de ses finances lui permettant à peine de pourvoir par ses propres forces à la sécurité de son territoire. De plus, le prince de Nassau venait de mourir, et sa veuve, exerçant au nom de son jeune fils un pouvoir toujours menacé, devait se maintenir dans une stricte neutralité sous peine de fournir de spécieux prétextes à l’opposition des adversaires du stathoudérat qui gardaient d’anciennes sympathies pour la France. Aussi le jour où, par un retour de vigueur (qu’avec le tempérament français on pouvait craindre même du conseil débile de Louis XV), une armée partie de Lille ou de Cambrai viendrait à franchir la frontière de Flandre, elle ne devait rencontrer aucune résistance sérieuse ; et la fameuse barrière, élevée contre l’ambition des héritiers de Louis XIV, serait emportée au premier assaut. Ce n’étaient pas quelques milliers de Hessois, achetés à grands frais et toujours prêts à se laisser mettre à l’enchère, qui entreprendraient de la défendre. Trente mille Russes dussent-ils même arriver à la rescousse, il était douteux qu’ils pussent traverser l’Allemagne en paix, et certain qu’ils ne paraîtraient jamais à temps ni sur le Rhin ni sur la Meuse.

Encore n’était-on pas sûr que les subsides nécessaires pour se procurer un secours si chèrement payé et si insuffisant fussent accordés sans difficulté par le Parlement. L’opinion régnante à Londres, — dominée par les préoccupations et les espérances de la lutte commerciale et maritime, — voyait avec une répugnance croissante tous les sacrifices faits pour des intérêts d’un autre ordre dont des politiques seuls appréciaient toute l’importance. Dans les comptoirs, dans les tavernes de la cité, comme dans les couloirs de la Chambre des communes, on se plaisait plus que jamais à croire, et même à redire assez haut, que tout soldat envoyé et tout écu dépensé sur le continent n’avait d’autre destination que de servir la prédilection de l’électeur de Hanovre pour son patrimoine germanique. Cette complaisance témoignée à une fantaisie royale aux dépens de la vraie cause de la nation avait déjà été, on le sait, pendant toute la durée de la dernière guerre, le thème constamment exploité par l’opposition parlementaire. Il fallait s’attendre qu’au moment où on apercevait à l’horizon la menace de charges nouvelles et indéfinies, l’attaque serait reprise avec un redoublement de vivacité et un surcroît de violence.