vote. Pour des hommes qui connaissent bien le terrain électoral et qui, leurs pointages faits, savent à quelques voix près combien il leur en manque pour se procurer la majorité qu’ils n’ont pas, c’est un jeu de triturer les listes électorales de manière à les mettre au point voulu. Il y avait à la mairie de Toulouse, au Capitole, un bureau des élections où ce genre de travail se faisait sans la moindre pudeur : on n’y mettait même pas de précaution. A quoi bon ? La municipalité s’était si bien emparée de l’administration préfectorale et exerçait sur elle une action si forte qu’elle ne craignait rien de ce côté. La préfecture possède un double des listes électorales : sur la demande de la municipalité ou de ses agens, cette liste a été communiquée sans réserve, sans surveillance, sans contrôle, afin d’être l’objet des mêmes remaniemens que celle de la mairie, et d’assurer sa conformité avec elle. La chose est à peine vraisemblable, et cependant elle est vraie. Le préfet, M. Cohn, a-t-il été personnellement au courant de tout ce qui s’est passé ? On hésite à le croire, mais il aurait dû l’être, et sa responsabilité, dans toutes les hypothèses, est gravement engagée. M. Cohn ne manque ni d’intelligence, ni d’expérience : seulement, comme tant d’autres, il a pratiqué avec docilité le système de la concentration républicaine, qui, à Toulouse, se faisait au profit des radicaux, et il est devenu peu à peu le complaisant de ces derniers. Il a laissé faire, ne se doutant peut-être pas du point où les choses seraient poussées, et, quand il l’a su, il a cru devoir couvrir des abus qui ne, pouvaient éclater au jour sans jeter le discrédit sur toute la politique dont il avait été l’instrument. Est-ce à dire que les faits en question n’étaient pas connus à Toulouse ? Ils l’étaient fort bien, et ceux qui en avaient été les victimes n’avaient pas manqué de protester. Ils ont protesté contre les élections municipales ; ils ont protesté contre l’élection législative de M. Calvinhac, qui a été faite au moyen des mêmes listes falsifiées. On ne saurait douter aujourd’hui que M. Calvinhac n’a pas été élu député de Toulouse l’année dernière : il n’en a pas moins été validé par la Chambre, et comme le jugement de celle-ci est sans recours ni appel, il restera au Palais-Bourbon pour représenter des électeurs qui ne l’ont pas nommé. On savait tout cela, on le disait, on le répétait ; puis, devant le mauvais vouloir de la préfecture, l’insuccès des réclamations introduites auprès de la juridiction administrative, le peu de confiance qu’inspirait la juridiction ordinaire elle-même aux prises avec des crimes ou des délits politiques, on finissait par se lasser, se dégoûter et se taire. C’est ainsi que, durant plusieurs années, une des plus grandes villes de France, une des plus intelligentes et des plus éclairées, a subi la tyrannie d’une association de faussaires, qui se partageaient les places et les traitemens ou les distribuaient à leurs amis, comme s’il n’y avait plus ni administration, ni justice, ni publicité à redouter.
Cet état de choses durerait encore, s’il n’avait pas été dénoncé par