par le tour et le tempérament de son esprit autant que par ses principes. Tous les chefs d’État sont condamnés à mécontenter souvent leurs amis et à tirer quelquefois sur leurs troupes : c’est une dure nécessité et l’une des servitudes du pouvoir.
Exiger des conservateurs prussiens qu’ils se résignent aux nécessités des situations et de la politique, c’est leur demander l’impossible. Le caractère de ce parti est d’avoir des principes qui sont des dogmes, et les dogmes ne sont des dogmes qu’à la condition d’être inflexibles et immuables. La tolérance est fille du doute, et les grands intransigeans de l’histoire avaient tous l’esprit dogmatique. Ni les révolutions ni les grands événemens qui préparaient à la Prusse et à l’Allemagne des destinées nouvelles n’ont pu décider les conservateurs à retrancher un mot de leur programme ; il est toujours resté le même : Sit ut est aut non sit ! Les principes auxquels ils demeurent si obstinément attachés ont été formulés autrefois par un homme de grand talent, Friedrich-Julius Stahl, qui joignait à une dialectique serrée une éloquence entraînante. Quiconque l’a entendu comme moi, en 1851, exposer sa doctrine dans une salle de l’Université de Berlin, a conservé un vif souvenir de sa parole chaude et de l’enthousiasme qu’elle excitait dans un auditoire où les hauts fonctionnaires, les généraux, les officiers en uniforme étaient aussi nombreux que les étudians. Les conservateurs sont restés si fidèles à la pensée du maître que, comme le remarque le docteur L. Jacobowski dans le réquisitoire qu’il vient de publier contre eux, aujourd’hui encore ils s’inspirent dans toutes leurs déclarations officieuses des théories et des formules de Stahl[1]. Ajoutons que ces formules et ces théories ont été hautement approuvées par plus d’un roi de Prusse, que Stahl n’a fait que réduire en système les maximes des Hohenzollern et leur foi politique, qu’ils ont le droit de considérer comme un bien de famille. « Nous ne saurions mieux prouver notre fidélité à notre souverain, peuvent dire les conservateurs, qu’en demeurant fidèles à nos principes, qui, quoi qu’il dise ou quoi qu’il fasse, seront toujours les siens. »
La théorie la plus chère au parti comme au souverain est la doctrine de l’État chrétien. L’État qui se désintéresse des questions de croyances et de cultes manque à sa mission et travaille à se détruire lui-même. M. de Bismarck disait en 1847, lorsqu’il n’était encore que le plus fougueux des droitiers, que l’État chrétien n’est pas une vaine fiction, une invention de docteurs, que cette idée est aussi ancienne que celle du Saint-Empire romain ; et il ajoutait : « Tout État qui veut durer, tout État qui veut défendre son droit à l’existence contre ceux qui l’attaquent, doit être fondé sur une idée religieuse.. » Les gouvernemens ont, comme les particuliers, des devoirs religieux à remplir ;
- ↑ Der christliche Staat und seine Zukunft, von Dr Ludwig Jacobowski. Berlin, 1894. Verlag von Carl Duncker.