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sont mouillés sans garantie de proportion. » Plusieurs débitans font suivre cette déclaration des mots : « Loi Griffe » ; ce qui ressemble fort à de l’ironie. Quelques-uns ajoutent cette mention : « Toutes les liqueurs sont de fantaisie. »

Obligatoire en vertu de la loi, la confession du mouillage s’allie du reste avec les nécessités de la réclame qui pousse tout marchand à vanter ses produits. A la devanture d’un épicier parisien, qui offre une boisson à 35 centimes le litre, s’étale la pancarte alléchante que voici : « Pas d’intermédiaire entre le propriétaire et le consommateur. — Excellent vin garanti de raisin frais. » A l’intérieur du même magasin, autre affiche : « Tous les vins vendus ici sont additionnés d’eau. » Le public au fond sait parfaitement à quoi s’en tenir, soit qu’il s’adresse au petit débit où les cinq qualités, correspondant à cinq valeurs différentes, sont contenues en une seule et même barrique d’un vin à 14 degrés que le propriétaire coupe, selon le prix demandé, d’un cinquième, d’un quart ou de moitié d’eau ; soit qu’il pénètre dans l’épicerie élégante, où, ce mélange étant fait préalablement sur une plus grande échelle, le client est admis à remplir son litre aux robinets argentés des tonneaux vernis.

Il ne serait pas possible en effet de vendre pour 35 ou 40 centimes le litre, au détail, un vin qui aurait payé 19 centimes d’octroi et d’entrée, 6 à 7 centimes de transport, tant pour le fût plein à l’aller, que pour le fût vide, au retour, puisqu’il ne resterait, en ce cas, que 9 centimes pour le prix de la marchandise au vignoble, les déchets de route, les frais généraux et… les bénéfices du marchand. L’acheteur toutefois, par une innocente manie, aime mieux acheter son vin mouillé que de le mouiller lui-même, et peut-être n’a-t-il pas tort : il lui est plus agréable de payer 40 centimes une boisson additionnée d’eau que de débourser 60 ou 80 centimes pour du vin absolument pur. C’est quelque chose d’analogue à ce qui se passe pour le lait dans nos grandes villes, et à Paris en particulier. Ce liquide s’y vend à tout prix, suivant le goût des consommateurs, parce que non seulement il est coupé d’eau par le crémier détaillant, mais aussi parce que l’usage des grandes exploitations laitières qui, dans un rayon assez étendu, approvisionnent la capitale, est d’écrémer la traite de la soirée précédente qu’elles mêlent, au moment de l’expédition, à la traite du malin. Ce procédé dépouille le lait de la moitié de sa crème, mais il permet, en diminuant le prix de revient, de le vendre 40 et 30 centimes le litre, tandis que le lait pur, dans la capitale, ne vaut guère moins de 60 centimes.

Lorsque le législateur zélé croit devoir fulminer contre ces