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température de la masse. Dans le vide ainsi obtenu, l’ébullition se produit entre 30 et 45 degrés centigrades. Le moût peut être concentré jusqu’à contenir 72 à 80 pour 100 de sucre. On restitue alors à cette espèce de sirop les pulpes et les pépins des fruits que l’on avait extraits par un filtrage préalable, et on le met en fûts pour l’expédition. L’Amérique tient jusqu’ici la tête dans cette branche de commerce. Une seule usine, établie en Californie il y a sept ans, importe en Angleterre 4 à 500 000 kilogrammes par an de cet extrait de raisin, connu sous le nom de preservated grape juice. Le moût concentré sert ou à améliorer des vins faibles, ou à fabriquer du vin de toutes pièces au moyen d’une simple addition d’eau, qui rend aux fermens, endormis dans le sucre en excès, leur activité naturelle. Un hectolitre de moût concentré à 80 pour 100, dont le poids est d’environ 125 kilog., produit sept hectolitres de vin d’une force alcoolique de 8 degrés.

Quant aux vins de sucre, différant peu du vin naturel auquel ils étaient le plus souvent mélangés, et coûtant beaucoup moins cher, puisque les 17 kilog. de sucre nécessaires à un vin de 10 degrés ne revenaient en général qu’à une dizaine de francs, ils prirent un rapide essor dans les pays viticoles, et la production annuelle s’enrichit ainsi d’environ trois millions d’hectolitres ; — si nous admettons que les quantités de sucre, bénéficiant de la taxe réduite, aient été intégralement employées au sucrage des vendanges.

Car le fait n’est pas certain ; et c’est pourquoi l’administration des contributions indirectes, gardienne fidèle des droits du Trésor, a toujours vu le sucrage d’assez mauvais œil. La loi de 1884 ayant accordé une remise des trois cinquièmes de l’impôt aux sucres convertis en vin, sous la condition qu’ils fussent dénaturés de manière à ne pouvoir servir à autre chose, la chimie officielle se mit en quête d’un procédé qui rendît le sucre impropre à la consommation et qui pourtant ne lui enlevât aucune des qualités que la viticulture se flattait de trouver en lui, qui surtout ne lui communiquât aucun goût désagréable. On sait que de semblables détériorations sont la rançon de franchises, totales ou partielles, accordées à diverses marchandises soumises aux droits. C’est ainsi que le sel, frappé d’un impôt de 10 francs par 100 kilos, alors que sa valeur vénale est de 3 fr. 50, ou encore l’alcool, grevé de contributions nationales ou municipales qui varient, par hectolitre, de 150 francs dans les campagnes jusqu’à 207 francs à Paris, tandis que son prix commercial ne dépasse guère 45 francs, jouissent, lorsqu’ils ont été dénaturés de manière à ne plus pouvoir être absorbés par les hommes, d’exonérations qui profitent à